Le Tartuffe baroque et noir de Michel Bouquet
Le Tartuffe De Molière Mise en scène de Michel Fau Avec Michel Bouquet, Michel Fau, Juliette Carré, Nicole Calfan, Christine Murillo, Justine Bachelet, Bruno Blairet, Georges Bécot, Dimitri Viau, Aurélien Gabrielli et Alexandre Ruby Jusqu’au 31 décembre 2017 Du mardi au vendredi à 20h, samedi à 10h30, dimanche à 16h Tarifs : de 13 à 60 euros Réservation en ligne ou par tél. au 01 42 08 00 32 Durée : 2h20 Théâtre de la Porte St Martin |
Jusqu’au 31 décembre 2017
A bientôt 92 ans, l’immense comédien revêt l’habit sombre d’Orgon, dévot ensorcelé par l’hypocrite Tartuffe de Michel Fau qui en signe la mise en scène baroque et spectaculaire. Un Tartuffe crépusculaire et terrible qui annonce les couleurs noir, rouge et or des costumes éblouissants de Christian Lacroix. Une chapelle à l’architecture vacillanteTout sauf bourgeois, cet intérieur de la maison d’Orgon place tous les personnages en rang d’oignon sous les voûtes gothiques et les arabesques des niches en ogives du Siècle d’or espagnol, un gothique flamboyant mais vacillant qui courbe les lignes de manière étrange vers un absurde point de fuite céleste. Emmanuel Charles et Michel Fau vont à l’essentiel, quitte à forcer le trait, pour figurer l’univers tragique et comique de cette descente aux enfers. Christine Murillo, divine Dorine, est prête à dégainer, pétillante d’intelligence et d’ironie, pour défendre la jeune Marianne (Justine Bachelet) face à l’odieux projet de mariage que son père veut lui imposer, pour lui-même. Nicole Calfan, impériale et douce dans une robe d’apparat, est prête à jouer les ingénues pour démontrer l’imposture perverse de Tartuffe, ses mensonges et ses duperies. Mais Madame Pernelle, excellente et terrible Juliette Carré, veille sur la moralité de la famille avec la rigueur d’une janséniste pur jus dans son corset de reine mère victorienne. Michel Fau en antéchrist fellinien On le découvre au troisième acte, ce Tartuffe qui nous tourne le dos nu, strié par les blessures écarlates qu’il s’inflige avec un fouet. Mi-Dom Juan, mi-Casanova, Michel Fau se pare d’un costume de soie écarlate, rouge sang, celui des martyrs et des vendredis saints, jour de pénitence chrétienne et de don de soi. Le ton est donné clairement, et le public n’est pas dupe : ce Taruffe est un jouisseur sans limites, qui use et abuse de la langue ciselée de Molière pour distiller son double langage en dissimulant un désir charnel sous le vernis du sacrifice divin. On rit de le voir agir ainsi, et on connait par coeur quelques unes des célèbres tirades que Fau déclame sobrement. « Cachez ce sein que je ne saurai voir » lance-t il à Dorine, si appétissante et libre. Il saisira pourtant la jambe d’Elmire, qui n’est pas une vierge mais qui avoue s’en offusquer. Bouquet en commandeur vengeur Face au rouge éclatant affiché de Tartuffe, Orgon adopte le noir des moines, d’une sévérité absolue, que Michel Bouquet impose en majesté. Car pour se débarrasser de la fantaisie de ses enfants et de leurs désirs d’émancipation, pour faire taire une servante, Dorine, bien trop bavarde et insolente, pour mettre fin à la tempérance de Cléante son beau-frère, il a trouvé en Tartuffe un modèle de fils adoptif. Raide comme la justice divine, hypnotisé par son fanatisme, le comédien trace durant près de deux heures le chemin de croix qui perdra toute sa famille, avec une maestria inquiétante et ténébreuse. Celle d’un vieil homme affaibli, abusé par une force diabolique, incapable de s’en défendre et enfermé dans une paranoïa maladive. Des lors, les deux Michel jouent les deux faces d’un même miroir : l’un plongeant dans le drame d’une vengeance familiale et générationelle, l’autre tissant une toile plus légère, plus caustique, celle de la farce et de la moquerie à l’égard d’une société cherchant la foi dans la bonne conduite. Farce contre drame existentiel, la pièce est remarquablement entendue et Molière demeure vainqueur. Hélène Kuttner [Crédits Photos : © Marcel Hartmann] |
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