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“Le Spleen de l’ange” : dernière création du magicien Johanny Bert au Théâtre de la Ville

Hélène Kuttner 19 octobre 2024
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© Christophe Raynaud de Lage

À l’encontre de tous les chantres du transhumanisme et de l’intelligence artificielle venue combler nos déficits humains, Johanny Bert imagine un ange fatigué de l’éternité qui souhaite se transformer un humain pour y puiser sa fragilité et sa vie éphémère. Accompagné de trois jeunes musiciens épatants, l’artiste y déploie son art de l’imaginaire et son savoir-faire de plasticien dans un spectacle tout en nuances de gris.

“J’en crève d’être immortel”

© Christophe Raynaud de Lage

Tout commence avec la belle voix du cinéaste Wim Wenders, dont le film Les Ailes du désir sert de fil conducteur à cette création. “Je suis las de mon existence d’esprit. Je n’en peux plus de survoler les hommes avec mes ailes, je veux sentir un poids qui abolisse l’illimité et m’attache à la terre” dit Bruno Ganz dans le merveilleux long métrage du cinéaste allemand. La marionnette de Johanny Bert atterrit avec peine parmi les hommes, enveloppée de long manteau gris, superbe et misérable vêtement qui dit le poids du monde. La créature est lunaire, avec un crâne tout blanc, comme poudré de sable, et des trous pour les yeux. Elle déploie soudain, comme un bouquet de fleurs séchées, ses ailes rouge sombre qu’elle s’efforce de découper, d’arracher. Marion Lhoutellier au violon, Guillaume Bongiraud au violoncelle et Cyrille Froger aux claviers et percussions nous enveloppent dans une composition à l’électronique venue du Nord, avec du rythme et des dissonances aux harmonies magnétiques.

La figure de l’ange

© Simon Gosselin

Ni exterminateur, ni religieux, la figure de l’ange ainsi convoquée recherche surtout à pénétrer les hommes en se débarrassant de sa pesante éternité. La marionnette au visage morbide veut retrouver la vie, et n’aura de cesse de repousser le ciel et ses limbes qui semblent l’attirer. Enfin sur terre, notre ange va accoucher d’une femme et d’un homme, créatures au corps flasque dont la chair de poupée visqueuse se répand sur le sol, il va aussi fouiller dans les poubelles de notre monde d’où jaillissent un tas de ferraille, des écrans de téléphone, des boites de conserve ainsi que des os de squelettes. L’ambiance est au macabre mais aussi à la transmutation, comme si les petits personnages en forme de pantins minuscules -nous les humains- répétions sans cesse les mêmes folies. Jusqu’à ce que la marionnette se transmue dans le corps du comédien, Johanny Bert, qui prend l’allure de cet ange devenu charnel, avec son manteau d’hiver et de glacis. Il chante aussi, cet ange humanisé, mais les paroles de ces chansons paraissent trop fades et n’échappent pas aux nombreux clichés sur ces mythes.

Poésie

© Christophe Raynaud de Lage

C’est quand la musique seule reprend son envol, tricotant avec la scénographie en noir et blanc un espace-temps onirique, que la création lumière de Gautier Le Goff enveloppe le plateau, que Johanny Bert, magicien de la marionnette, démultiplie les sens et l’imaginaire dans un moment de magie nouvelle, que le spectacle reprend son attrait mystérieux. Entre pantin et humain, entre le réel, les guerres et les famines, et le paradis d’Adam et d’Eve, cet ange qui se fracasse régulièrement le crâne sur les malheurs des hommes et sur l’espoir déçu vient aussi nous chercher avec l’espoir d’une nouvelle fraternité. Et les transhumanistes et apôtres d’un nouvel âge bionique, où nos cerveaux équipés de puces, nos corps de logiciels, nous permettront de dépasser la maladie et de surmonter la mort, n’ont qu’à se rhabiller. C’est au prix de cet abandon de la promesse d’éternité, au prix d’une sagesse qui doit nous guider simplement, que nous parviendrons à dépasser nos craintes et nos fantasmes. Une sagesse antique qui devrait tous nous réconcilier.

Hélène Kuttner 

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