“Le Songe d’une nuit d’été” : une fantasmagorie ludique et inquiétante
La dernière mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota prend place sur le grand plateau du Théâtre de la Ville, qui vient de réouvrir avec bonheur et en majesté après des années de travaux. Une scénographie et des lumières éblouissantes, quinze artistes sur la scène, et un texte entièrement retraduit par François Regnault. De quoi éblouir et fasciner un jeune public, le séduire par cette incroyable histoire, même si l’aspect mystérieux de cet entre-deux mondes semble être laissé de côté.
Trois mondes renversés
Dans un monde dénué d’espérances, où les certitudes sont battues en brèche, où les noires tempêtes soufflent en dépeuplant les arbres, où la nature périt du peu de soin de l’homme, le génial William Shakespeare déploie une histoire abracadabrante qui tisse, entre songe et réalité, la plus improbable des intrigues. Analysons l’affaire : dans une forêt d’Athènes, à quatre jours du solstice d’été, le 1er mai, deux aristocrates, Hermia et Lysandre, sont follement amoureux alors qu’Egée, le père de la jeune fille, veut la marier à Démétrius. Ils n’ont qu’une issue, la fuite dans la forêt, mais une seconde jeune femme, Héléna, qui aime Démétrius, prévient ce dernier de leur fuite. A un autre niveau, celui des fées, ce sont Obéron et Titania qui se disputent, mais lorsque Héléna éplorée vient se plaindre à Obéron de son échec amoureux, ce dernier décide d’user d’un stratagème pour faire en sorte que Démétrius soit amoureux d’Héléna. Mais Puck, son elfe, un gentil lutin, se trompe de cible et envoûte Lysandre en déposant sur ses paupières un élixir magique. Et met le feu aux relations amoureuses, qui enflamment la forêt. Au troisième niveau, celui des artisans de notre bas monde, une troupe de comédiens amateurs répète dans une clairière la fable de Pyrame et Thisbée. Pour punir Bottom, le tisserand prétentieux qui pense pouvoir jouer tous les rôles, Puck le coiffe d’une tête d’âne, animal dont la Reine Titania va s’éprendre de manière totalement involontaire, faisant de cette bête une proie sensuelle pour cette belle.
Je t’aime moi non plus
La qualité du travail d’Emmanuel Demarcy-Mota est de rendre lisible le propos d’une intrigue qui ne l’est pas. Quel foisonnement d’histoires d’amour, de rendez-vous ratés, de désespoir amoureux, de désirs frustrés, de volontés contredites ! Shakespeare s’amuse à dépeindre le chaos du désir et de l’amour, le mensonge qui signifie la vérité, en dévoilant en pleine nuit les fantasmes des uns et des autres. Et l’auteur donne la part belle aux femmes, ces jeunes héroïnes telles Hélèna et Hermia, qui, comme dans Peine d’amour perdue que le metteur en scène avait créée à ses débuts avec Valérie Dashwood et Gérard Maillet, osent pleinement affirmer leur désir. Sur un plateau éclairé à merveille, dont les troncs d’arbres tournoient subtilement comme sur un manège, Elodie Bouchez, Sabrina Ouazani, Jauris Casanova et Jackee Toto se jettent à corps perdus dans une déchirante ronde du désir où l’arme de l’amour est aussi aiguisée que celle de la guerre. Et c’est un bonheur que d’entendre les vers irréguliers de Shakespeare traduits dans leur richesse lexicale par François Regnault, mixant l’aristocrate richesse des rimes avec la brutalité vulgaire de termes plus crus.
Trois elfes enfantins pour Puck
En fond de scène, une forêt sombre et dénudée, le monde réel, alors que sur la scène le théâtre invente le sien, lumineux et chaotique, peut-être le plus juste des mondes. Et on sait gré au metteur en scène de faire un théâtre enfantin dont les ficelles paraissent grosses, dont les jeux de scènes paraissent forcés, assumant ainsi l’artifice d’un jeu qui ressemble aussi à la vie. La salle vibre à l’unisson de ces personnages totalement décalés, de cette belle reine Titania, descendue des airs dans une robe somptueuse, qui fricote avec le museau d’un âne. Valérie Dashwood (Titania) et Philippe Demarle (Obéron) sont deux comédiens aguerris dont la technique et le brio ne sont plus à démontrer. Et pour multiplier encore la confusion des sens, Puck est incarné par trois jeunes comédiens agiles comme des enfants. Apparitions et disparitions, rêves et prémonitions, les personnages semblent tous courir après leurs rêves, se débattant dans des désirs sans cesse mouvants, comme les arbres qui voyagent en même temps que se déploie l’histoire. Un spectacle qu’on aurait souhaité justement plus énigmatique, plus nébuleux, comme l’est le tissu énigmatique de nos rêves, ce tremblement dérangeant qui fait de la monstruosité un désir, qui fait de la beauté un cauchemar. Bref, que cet inconscient le soit davantage. Mais la beauté des images et de la scénographie donne à aimer la magie du théâtre, portée ici par la belle énergie, la sincérité des comédiens qu’il faut admirer.
Hélène Kuttner
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