Le « Show » époustouflant de Hofesh Shechter

Au Théâtre des Abbesses, la star israélienne de la danse britannique présente Show, sa dernière création. Renversante ! Où la danse baroque, tribale, céleste, folklorique ou classique prend des airs de fête dionysiaque. La transe séduit et bâtit son empire, mais elle cache de redoutables envies destructrices…

Show de Hofesh Shechter © Simona Boccedi

Au début, les quatre femmes et quatre hommes exposent leur fragilité, mais aussi une légèreté céleste. Sont-ils des fantômes ou des anges ? Dans leurs costumes XVIIIe siècle, ils forment des cercles et des lignes, ou s’adonnent à des transes comme dans une cérémonie mystique, un carnaval ou une danse de Willis.

Show est une pièce toute fraîche, créée il y a trois semaines, avec les jeunes danseurs de la compagnie Shechter II. Mais le noyau, la colonne vertébrale, a été acclamé sous le titre de Clowns. Ce fut une création pour le fameux Nederlands Dans Theater, le NDT, en 2016. Et Clowns a permis à Shechter de croiser sa dénonciation de la violence meurtrière avec la vitalité festive de la danse baroque.

On y trouve l’exaltation de la vie et l’urgence de souder une communauté que Shechter ne cesse de confronter à l’empire de la violence gratuite qui règne chez les humains. Une gorge tranchée, une balle reçue dans le dos, et on s’effondre sans crier gare, alors qu’on était en train d’exulter la vie en dansant.

Show de Hofesh Shechter © Simona Boccedi

La fête, jusque dans la mort

Chez Shechter, l’omniprésence de la mort fait de la vie une fête sans limites, jusque dans la mort. Et pourtant, il ne vit pas à Tel-Aviv mais à Londres, tout en ajoutant volontiers et de vive voix que sa deuxième patrie n’est autre que Paris. La danse baroque, genre si français, qui ne cesse de sous-tendre ce Show tribal, sauvage et tellement raffiné, n’en dit pas autre chose.

Costumés comme s’ils voulaient danser un opéra-ballet, les quatre couples volent à travers la danse baroque, tribale, arabe ou folk, mêlant allègrement des séquences très organisées et presque codifiées avec une danse furieuse et apparemment libre. Tout est contenu dans tout et la transe est une et indivisible, que l’on se situe à la cour ou dans un village africain. Tous cherchent à changer d’état de conscience en dansant. Même un ralenti extrême peut encore contenir cette énergie-là.

Les huit danseurs qui livrent cette formidable démonstration forment de fait la compagnie Shechter II, une troupe constituée de jeunes talents en train de devenir des danseurs professionnels de grande envergure. Cette première partie de Show, écrite sur mesure pour eux, s’ajoute à la fameuse pièce Clowns créée pour le NDT d’Amsterdam.

Show de Hofesh Shechter © Gabriele Zucca

Danser l’énergie de la lutte

On ne ressent aucune rupture entre les deux, mais la thématique glisse alors vers ce jeu de vases communicants entre l’envie de fête et de danse, traversée par les exécutions éclair, les trépas instantanés qui arrêtent la vie, avant qu’elle ne renaisse aussitôt. Chaque mouvement dansé contient en lui l’énergie de la lutte pour la survie.

Et le spectacle n’est pas prêt à s’en aller, même pas quand il est fini. Les saluts, sur une douce chanson coréenne, sont comme une troisième partie du Show, ou comme si on avait seulement rêvé de ces clowns et revivait alors ses souvenirs de ce songe. Show est l’un des spectacles de danse les plus impressionnants de la saison !

Thomas Hahn