Le Sacre du Printemps – Nijinski et Waltz – Théâtre des Champs-Élysées
Dans un tumulte inouï et sous les injures, voire les coups échangés sauvagement dans la salle, les danseurs et les musiciens, le 29 mai 1913, ont fait découvrir et entendre toute la modernité de cette œuvre phare. Avec une grande fierté, le Théâtre des Champs Élysées programme plusieurs versions de ce Sacre. À commencer par la source, le ballet de Nijinski donnée par le Théâtre Mariinsky, suivie de la création de Sasha Waltz, enfin la semaine prochaine sera à l’affiche la chorégraphie de Pina Bausch, une des plus belles réussites du XXème siècle.
Le Sacre du printemps, Nijinski
En découvrant l’oeuvre dans la version authentique donnée par la compagnie de Saint-Petersbourg, on ne s’ étonne guère des réactions violentes de la première représentation en 1913. La musique d’avant-garde de Stravinsky est magnifiquement orchestrée par le chef russe Valery Gergiev et les pas martelés des danseurs ont de quoi choquer plus d’un. Les genoux et pieds en dedans, les poings serrés tendus, les mouvements saccadés et coordonnés révolutionnent le style traditionnel. On entend même le glissement des chaussons sur le sol des pieds qui traînent volontairement ! Ce ballet révolutionnaire dans l’univers de la danse surprend aussi par ses costumes à l’identique. Ce qui confère au spectacle une curiosité historique. Une vraie réussite.
Le Sacre du printemps de Sasha Waltz
La nouvelle création du Sacre du printemps de la chorégraphe berlinoise rend hommage à ses prédécesseurs. Sasha Walz crée un univers extrêmement référencé dans lequel affluent des images fortes. Dès les premières pas, le Sacre de Pina Bausch apparaît en filigrane. Même allure des danseuses juvéniles longilignes, aux cheveux longs et raides. Même travail du corps courbé, lourd, emporté par la répétition du mouvement qui regroupe les danseurs en bandes. De même, la matière est un élément récurrent. Mais la tourbe fait place aux graviers. La violence prend donc une forme plus citadine dans ce no man’s land waltzien. Il est sans doute difficile de se défaire d’une des plus belles chorégraphies du XXème siècle. Aussi nous aimons à penser que Sasha Waltz rend hommage plus qu’elle n’emprunte à sa compatriote allemande.
Au fur et à mesure, notre esprit vagabonde à travers le temps et les lieux. Le spectateur voyage dans différents univers superposés comme un palimpseste chorégraphique sans frontière. Plusieurs images chorégraphiques connues surgissent. West Side Story affleure notre pensée dès le tragique combat des bandes antagonistes, notamment au cours des sauts qui jaillissent de toutes parts.
À La célèbre rixe de Jérôme Robbins se joignent d’autres récits antérieurs. Un poignard gigantesque surplombe au premier plan la scène. Il nous transporte dans la Grèce antique, voire dans un temps plus ancien avec le fond de scène animé par une toile représentant des tyrannosaures… Cette quasi arme préhistorique comme l’épée de Damoclés, pend, prête au sacrifice rituel, nécessaire à l’équilibre des hommes. Les robes se teintent alors d’une coloration mythologique. Ainsi Sasha Waltz s’affranchit seulement de Pina Bausch avec notamment ses figures géométriques si chères à la chorégraphe berlinoise comme le V de la victoire dans une belle recherche picturale de l’espace. L’image poignante de corps féminins crucifiés saisit. Les corps portés par leur vainqueur en offrande, s’effondrent dans un dernier souffle. À l’inverse du Christ crucifié entre les deux larrons, l’image de femmes crucifiée impressionne. D’autre part, la présence des deux enfants fait songer à Médée d’Euripide. Enfin, la chorégraphe questionne le choix de l’élue. Le spectateur part sur de fausses pistes, le temps d’un combat singulier, croyant que les femmes l’emporteront sur les hommes … Mais non.
Marie Torrès
Le Sacre du Printemps
Dans les versions de Nijinski et de S. Waltz
Le 29 mai 1913
[©Crédit Photos: Vincent Pontet/ Wikispectacle]
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