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“Le Roi Lear” : Shakespeare en majesté par Weber et Lavaudant

Hélène Kuttner 12 novembre 2021
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© Jean-Louis Fernandez

Le metteur en scène Georges Lavaudant s’attaque pour la troisième fois au chef-d’œuvre de Shakespeare avec un immense acteur, Jacques Weber. Autour de lui, François Marthouret et une poignée d’excellents jeunes acteurs peuplent cette scène du théâtre du monde au milieu des fous. Magistral et vertigineux.

L’épreuve du réel

© Jean-Louis Fernandez

A quel moment le Roi Lear plonge-t-il dans la folie ? Il semble qu’au moment où sa fille préférée, Cordélia, préfère la sécheresse d’un aveu simplement respectueux pour signifier à quel point elle aime son père aux simagrées éloquentes et verbeuses de ses soeurs Goneril et Régane, Lear disjoncte, comme un père qui attend d’un enfant adoré beaucoup plus que ce dernier ne peut lui donner. Dépité amoureusement, le vieux Lear, qui liquide son héritage et ses terres entre ses trois filles, renvoie Cordélia en France, bannit son fidèle Kent, et va finir ligoté et privé de ses proches chez Goneril qui s’est transformée, comme sa soeur Régane, en prédatrice sans foi ni loi. Dans le même temps, un autre père, Gloucester, complice attendri de Lear, vivra une expérience semblable avec ses deux fils dont le bâtard, Edmond, cherche à récupérer l’héritage paternel en se débarrassant de son frangin Edgar, le légitime. Complices dans la souffrance et rendus fous de désespoir, Lear et Gloucester seront projetés dans un désert d’épreuves toutes plus douloureuses les unes que les autres avant de revenir à la raison, Lear totalement hagard mais lucide et Gloucester les yeux crevés, mais hyper-conscient comme Oedipe. 

Une mise en oeuvre de la folie du monde

© Jean-Louis Fernandez

Pour sa troisième mise en scène du Roi Lear, Georges Lavaudant a choisi le plateau noir et nu pour y accueillir toutes les tempêtes du monde. Seuls, les lumières expressives d’un film noir, rasantes, sculptent les visages et les silhouettes et une bande son de Jean-Louis Imbert peuple les atmosphères de vent ou d’orage, d’oiseaux ou de magnétique suspense. Ce sont les comédiens qui sont rois dans Shakespeare, ainsi que la langue, somptueuse dans la traduction de Daniel Loayza, où se croisent, se tissent, s’accumulent en pirouettes continuelles la poésie le burlesque, le grotesque, le politique, la sexualité, la morale et la philosophie. Il y a tout dans ce texte qu’il faudrait écouter à plusieurs reprises tant sa richesse lexicale et conceptuelle est dense. Nous parle-il de notre monde ? Oui bien sûr, violence et folie ne sont pas choses nouvelles, mais pas seulement. De la vie et de la mort, des femmes bien qu’il n’y ait que des pères dans Lear, et que les jeunes femmes ne soient pas particulièrement tendres. De la métaphysique et de la psychologie dans les rapports entre parents et enfants, jeunes et vieux. Des mensonges de la flatterie et de la toxique frénésie du pouvoir qui fait le lit de toutes les revanches. 

Comédiens puissants

© Jean-Louis Fernandez

Georges Lavaudant connaît bien ses acteurs, et tous, jeunes ou plus âgés, font montre d’une maîtrise technique et d’une présence particulière sur le plateau. Jacques Weber est un Lear magnifique, autoritaire et tendre à la fois, vieillard et enfant. Celui qui a joué tous les grands rôles, de Cyrano à Dom Juan, endosse ce gigantesque manteau avec un texte fleuve qui brasse tous les thèmes et tous les registres avec une réjouissante maestria. Il tient le rôle physiquement dans ce voyage en forme de quête du réel et de la vérité, tentant d’en saisir charnellement toutes les nuances, toutes les couleurs. Son complice François Marthouret est aussi éblouissant de justesse, de finesse et de précision dans le rôle de Gloucester qu’il aborde avec une belle générosité et une technique achevée. Les autres comédiens tiennent fort bien la route de cette épopée folle, en particulier les deux frères ennemis, Laurent Papot le revanchard bâtard Edmond et Thibault Vinçon en erratique et philosophe Edgard, acrobate et danseur d’un monde qu’il reconstruit, tous deux épatants. On retrouve l’éblouissant Manuel Le Lièvre dans le rôle du Fou auquel il prête son inventivité et sa faconde, le seul personnage qui comprend tout avant les autres. Mais le Kent de Babacar M’Baye Fall, sage d’Afrique qui se travestit pour espionner, est tout aussi formidable. Astrid Bas (Goneril), Grace Séri (Régane) et Bénédicte Guilbert (Cordélia) complètent cette belle distribution avec Thomas Durand, Frédéric Borie, Clovis Fouin-Agoutin, José-Antonio Pereira et Thomas Trigeaud qui campent les nobles et les serviteurs. 

Hélène Kuttner

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