Le Retour – Odéon-Théâtre de l’Europe
Bruno Ganz, Louis Garrrel, Pascal Greggory, Micha Lescot, Jérôme Kircher et Emmanuelle Seigner : les acteurs qui sont réunis sont tous des comédiens guettés et attendus, d’autant que Luc Bondy est habile et justement reconnu pour son savoir-faire pour ce qui est de travailler les corps et les voix. Et ils sont bien là, à la fois dans leur dimension et dans une nouvelle tonalité, car Luc Bondy a sortis d’eux de nouvelles couleurs, ici une tonalité vocale, là une démarche au millimètre, pour l’autre une silhouette transformée, et évidemment pour Bruno Ganz un phrasé à la fois rond et lourd permis par son acccent qui rentre littéralement dans le rôle.
Mais une fois le polissage des comédiens posé, il faut plus de deux heures pour que se déroule ce retour où le temps est finalement le héros de la pièce. Le passé hante les personnages autant que le lieu, il est sournois, rampant et menaçant. Le temps prend son temps, il enraye le présent et jette son ombre pour déformer tout ce qui viendra. Pour permettre à ce sombre désordre temporel d’attraper le spectateur, le choix a été de donner un rythme qui piège lentement et tisse une toile où petit à petit s’enfoncent les situations jusqu’à des monstruosités tranquillement acceptées. Cela fonctionne, le glissement opère sans fracas et la femme autour de laquelle s’organise le dérapage, continue ses pas feutrés sans césure ni chute.
Les temps ont changé
Mais cette pièce date de 1965 et le malaise, même s’il est recréé sur la scène, ne transpire plus de la pièce elle-même comme ce fut le cas auparavant. « Le retour » avait paru étouffant et terriblement oppressant, mais en 2012 l’enjeu a perdu de son caractère audacieux ou pervers. Car l’histoire est celle d’une famille dominée par le vieux Max dont l’un des trois garçons est parti vivre sa vie après la mort de Jessie, la mère qui hante la famille et empêche la vie d’avancer. Quand ce fils parti aux Etats-Unis revient pour présenter son épouse, tout bascule. Celle-ci, Ruth, sans doute à l’image de l’absente, éveille tous les fantasmes et s’adonne librement aux siens. Elle va se livrer à tous les membres de la famille, accepte un contrat de prostitution contre un bel appartement et passe de l’ange blond à la putain en glissant d’un rôle à l’autre comme sur du marbre lisse. Quarante ans ont passé et la force théâtrale de Pinter est intacte, le poison et la violence des frustrations s’imbriquant dans une atmosphère tissée magistralement pour que l’insupportable prenne place sans gêner personne, comme s’il ne s’agissait finalement que d’une libération.
Cependant, en 2012, l’image de la sainte-salope n’est plus un thème à découvrir pas plus qu’un abîme que l’on commence à explorer. Ni les hommes ni les femmes ne peuvent appréhender de la même manière ce fantasme, ne serait-ce parce qu’il a été maintes fois mis en scène, dévoilé, dit, montré, théorisé, assumé et commenté. La découverte ou la fascination face à ces assouvissements ne fonctionnent plus de la même manière. D’où à la fois une attirance et pour certains, une tendance à ricaner sans trop oser, comme si le retour de Luc Bondy à l’Odéon avec une telle distribution plombait des velléités dubitatives quant à la situation.
Isabelle Bournat
Le Retour
Mise en scène de Luc Bondy
Avec Bruno Ganz, Louis Garrel, Pascal Greggory, Jérôme Kircher, Micha Lescot et Emmanuelle Seigner
Jusqu’au 23 décembre 2012 à 20h
Le dimanche à 15h
Tarifs : de 6 à 34 euros
Réservation en ligne ou par téléphone : 01.44.85.40.40
Durée : 2h20
Théâtre de l’Odéon
Place de L’Odéon
75006 Paris
A découvrir sur Artistik Rezo :
– Les pièces à voir à Paris en novembre 2012
[Photo : Ruth Walz]
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