« Le Rendez-vous » de Camille Cottin et Jonathan Capdevielle aux Bouffes du Nord
Dans une scénographie au drapé de soie violette et frémissante, une jeune femme aux allures de conquérante, moulée dans une combinaison en latex rouge, dialogue avec son gynécologue. En se glissant dans la peau d’une allemande embarrassée par l’héritage nazi, décidée à se faire greffer, à Londres, un pénis circoncis aux frais d’un arrière grand-père chef de gare près d’Auschwitz, Camille Cottin se lance avec courage dans un monologue dérangeant, libertaire et provoquant signé Katharina Volckmer. Jonathan Capdevielle accompagne la mise en scène de ce solo trop sophistiqué dans sa forme.
« Jewish Cock »
C’est le titre du roman à succès de Katharina Volckmer, une autrice allemande qui a choisi de s’exiler à Londres. Traduit en français, le titre signifie « la bite juive « . L’histoire est celle d’une jeune Allemande mal à l’aise dans son corps de femme et qui souffre de l’héritage du nazisme. Dans l’intimité d’un cabinet de gynécologue londonien le Dr Seligman, elle évoque son malaise et sa frustration vis à vis des diktats féminins et de l’emprise néfaste de sa mère, envahissante comme l’héritage nazi. A son gynécologue comme à un psychanalyste, elle confie son désir de se faire greffer un pénis juif et circoncis pour mieux digérer la culpabilité d’être née Allemande. Le texte affronte crûment les fantasmes d’un flirt avec Hitler, s’amuse d’une rencontre avec un petit ami nommé K – comme Kafka- rencontré dans des toilettes publiques, met en boite les limites hypocrites d’une morale binaire basée sur la peur de l’autre et les faux-semblants. On songe à la causticité de Portnoy et son complexe de Philippe Roth avec ses décalages permanents et son humour en mode survie.
Camille Cottin guerrière de tous les combats
Ce sont les jambes de l’actrice qui jaillissent d’abord, en ciseaux, gainées d’un collant écarlate, du magma de tissu violet qui bruisse et frémit par vagues pour finalement envahir tout l’espace scénique. Le son est désynchronisé par rapport au corps, qui subira une lente transformation au fil de la soirée. L’habillage scénique, la lumière, le travail sur le son, concourent à former autour de la comédienne un écrin suave comme de la guimauve, visqueuse et sucrée, qui semble l’emprisonner. Camille Cottin, tout d’abord invisible, se confie au gynécologue qui lui répond laconiquement par la voix de Jonathan Capdevielle en régie. Le corps fin, androgyne, fuselé dans un justaucorps rouge et un long short de treillis militaire, apparaît alors, lutin sauvage prêt à régler ses comptes avec l’Allemagne, ses fantômes nazis, son calme dénué d’humour, mais aussi avec un arrière grand-père qui fut chef de gare en Silésie -une station avant Auschwitz- et une mère trop étrangère à la petite fille effrontée qui grandit comme une mauvaise plante.
Héroïne d’un futur réinventé
La comédienne se saisit du texte avec tout son corps et son énergie solaire et puissante. Elle se meut dans tous les personnages, bourgeoisement maternelle avec son chapeau et sa robe plissée, vorace ou amoureuse, toujours rebelle et provocante, marchant sur cette mer de tissu violet comme elle traverserait plusieurs vies avant de trouver refuge dans celle d’un garçon juif. Garçon manqué ou fille ratée, Camille Cottin part à l’assaut des haines et des fantasmes graveleux de son personnage à la manière d’une héroïne de manga. D’où vient pourtant que le spectacle peine à nous émouvoir totalement ? Dérangeant, gênant à la lecture, ce solo élégamment mis en scène et très bien interprété, reste sans doute beaucoup trop séduisant dans sa forme. Reste le plaisir de découvrir une œuvre originale et puissante qui vient réveiller, avec les fantômes de l’histoire, nos mémoires et nos corps trop endormis.
Helène Kuttner
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