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Roméo et Juliette – Olivier Py – Théâtre de l’Odéon

12 octobre 2011
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La_mort_nexiste_pas

D’entrée de jeu, figurant à lui seul le chœur de la tragédie, un acteur annonce la couleur : les Montaigu et les Capulet, deux noms maudits des dieux, qui déjà dans l’Enfer de Dante, croupissaient dans le couloir du purgatoire, vont, deux heures durant et sous nos yeux, se livrer, dans l’ivresse d’une haine déchaînée, une lutte intestine fauchant, entre ciel et terre, les coupables comme les innocents. C’est dans le ventre de cette sinistre gigantomachie, vaste tombeau, qu’éclôt, mort-né, comme tué dans l’œuf, l’amour impossible de Juliette et Roméo. Assumant à eux deux cette bipolarité tragique par laquelle chacun est tour à tour contraint d’abandonner son nom propre pour se baptiser du seul qu’ils aient en commun : « Appelle-toi amour »… Intense Roméo, le talentueux Matthieu Dessertine – qui déjà attendait l’aurore dans Les Enfants de Saturne, création d’Olivier Py pour les Ateliers Berthier — apercevant sur la toile du ciel l’ombre grise de sa bien-aimée, filant l’épiphanie, sonde dans la nuit blanche et noire la danse des astres dans l’espoir fou d’en crever le secret.

Toujours furieusement lancée en avant d’elle-même, comme avortant ce qui n’a pas encore eu le temps d’avoir lieu, envoyant l’histoire par le fond, la machine théâtrale accélère la cadence : dans l’espace ré-créatif d’Olivier Py, les tableaux en noirs et blancs, mélancoliques, efficaces, s’épurent à mesure que la mâchoire dramatique se referme. Resserrés en un seul, les cinq actes de la pièce, pris dans l’engrenage de la série sous l’effet moteur d’une logique infernale, subissent l’inéluctable déroulement de l’enchaînement causal : Tybalt, le cousin nerveux de Juliette provoque Roméo en duel, lequel échappe de justesse à la mort, y envoyant malgré lui Mercutio, son meilleur ami qu’il ne tarde pas à venger en envoyant cette fois Tybalt au tapis. Entre les deux clans, la guerre est déclarée. Encagés sous les barreaux de leur destin tragique, les héros ne peuvent plus faire machine arrière.  Un rideau rouge transparent, hors de ses gonds, claque le sol de la scène : le sang de Vérone a coulé. Dehors la nuit est gouvernée. Le prince, gardien de la paix, tente en vain d’endiguer le fléau qui ronge la cité en condamnant Roméo à la peine capitale : l’exil, un tombeau pour son âme pestiférée. Car jeté hors les murs de Vérone, c’est du monde tout entier — celui des vivants — que Roméo est banni. Dans un spasme, il articule, atterré et fiévreux : « Le monde n’existe pas en dehors de Vérone. Le purgatoire est aussi une forme d’enfer. Être banni d’ici, c’est être banni du monde. Être banni du monde, cela s’appelle la mort ».

Ombre_de_JulietteMais pour les deux amants, comme l’écrit Py au fond de la scène en lettres capitales, la mort n’existe pas. On s’aperçoit alors qu’il ne s’agit pas là, dans cette version originale du poème,  d’une simple histoire d’amour qui vire au drame, mais d’une méditation sérieuse aux accents métaphysique où l’existence, impatiente, chancelle infatigablement entre l’être et le néant sans pouvoir jamais trancher net le nexus tragique. Déjà Roméo, jeune boîteux dans l’univers shakespearien, balance comme Hamlet : « to be or not to be »… Existentialement tourmenté, héros noctambule errant dans les rues de Vérone comme une âme damnée, accordant plus de prix à l’amour qu’à la vie, comme s’il était permis d’aimer sans vivre mais pas de vivre sans aimer, il choisira le poison mortel qui immortalisera sa passion pour Juliette, emmurée vive quelques heures plus tôt dans le caveau familial, à présent sacrifiée à l’éternité. Seuls les rescapés du désastre pourront témoigner. Dans un dernier souffle expulsant l’insoutenable parfum de souillure qui hantait alors Vérone, Frère Laurent, encore assommé par l’inquiétante étrangeté du tableau final, résume d’un trait le tourment qui mêla le sang des Montaigu et à celui des Capulet.

Insistant sur l’ambivalence du genre – théâtral et sexuel – , s’appliquant à en déborder les limites quand elle ne peut les repousser, la mise en scène d’Olivier Py exploite le motif de la dualité qui traverse la pièce et le soumet à l’expérience scénique de la trans-sexualité : Tybalt, le cousin viril et sanguin de Juliette est aussi Lady Capulet une fois la mantille noire enfilée. Inversion et subversion des genres au centre d’un manège qui tourne vite au cauchemar de la répétition, quand la machine s’enraye et que l’histoire bégaye. Quand la puissance de la ronde est de s’élever au carré. Que le père Capulet, enrageant, déraye littéralement et lève la main sur sa fille, contractant alors un étrange complexe incestueux puisque l’acteur porte aussi la culotte du mari, le noble Paris, auquel il l’a promise.

Fidèle au texte comme à la tonalité de cette intrigue shakespearienne aussi visionnaire que désenchantée, la traduction-adaptation proposée par Olivier Py reformule sans détour ni artifice dans les termes les plus crus de la modernité l’extrême vanité d’un monde abusé par son propre excès.

Nora Monnet

Roméo et Juliette

De William Shakespeare
Mise en scène d’Olivier Py

Avec Olivier Balazuc, Camille Cobbi, Matthieu Dessertine, Quentin Faure, Philippe Girard, Frédéric Giroutru, Mireille Herbstmeyer, Benjamin Lavernhe, Barthélémy Meridjen, Jérôme Quéron

Traduction & adaptation : Olivier Py // Décor & costumes : Pierre-André Weitz // Assistante aux costumes : Nathalie Bègue // Conseiller musical : Mathieu Elfassi // Lumière : Bertrand Killy // Son : Thierry Jousse

Du 21 septembre au 29 octobre 2011
Du mardi au samedi à 20h
Le dimanche à 15h

Plein tarif : 32 € // Tarif réduit : 16 €
Location au 01.44.85.40.40

Durée : 3h20 (avec entracte)

Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon  – 75006 Paris
M° Odéon
 // RER Luxembourg


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