“Le Procès de Jeanne” avec l’incandescente Judith Chemla
Le Procès de Jeanne © Guy Delahaye
La comédienne et chanteuse Judith Chemla poursuit son aventure avec le metteur en scène Yves Beaunesne et le compositeur Camille Rocailleux. Après “L’Annonce faite à Marie” de Claudel, voici Jeanne d’Arc face à ses terribles juges, et les mots vibrants du procès d’une analphabète contre les censeurs de l’Eglise. Le spectacle, en forme d’oratorio mêlant le théâtre, la musique, le chant et la vidéo, est une totale réussite.
Une analphabète face aux censeurs de l’Eglise

© Guy Delahaye
Quand en 1431, en pleine guerre de Cent ans, Jeanne d’Arc comparait devant le tribunal d’inquisition qui la suspectait d’hérésie et d’idolâtrie, la pucelle d’Orléans doit batailler mot par mot, argument contre argument, contre une assemblée d’hommes d’Eglise qui la somme d’avouer ses diaboliques influences. Celle qui a fasciné Jules Michelet, Charles Péguy ou René Char, celle pour qui on se déchire encore pour s’approprier, à droite de l’échiquier politique, le symbole patriotique, apparait ici dans toute la simplicité de sa grâce naturelle, toute la spontanéité et la liberté de son tempérament hors du commun. Judith Chemla se tient droite face public, vêtue d’un simple habit d’homme. Derrière elle, dans la pénombre mystérieuse d’un arrière plan musical, six merveilleux musiciens-chanteurs lui répondent, comme en écho, avec des vagues sonores aux influences diverses, baroques, romantiques ou contemporaines. Mais ils soutiennent et accompagnent aussi son chant, qu’elle projette royalement, sûrement, timbre radieux et clair qui grimpe allègrement dans les aigus mais garde la suavité langoureuse des médiums.
Un oratorio intime et grave

© Guy Delahaye
La mise en scène d’Yves Baunesne a intelligemment placé la comédienne au centre du plateau, jeune fille de 19 ans qui se bat pour rester en vie, alors que l’assemblée de ses juges, présidée par l’évêque Cauchon, apparaît en vidéo dans un cadre octogonal qui joue sur le changement d’angles. Jacques Bonnafé campe Cauchon, entouré de Thierry Bosc (Jean de la Fontaine) et Jean-Claude Drouot (Jean Beaupère) tous formidables de rouerie et d’hypocrisie. C’est un travail signé Pierre Nouvel, astucieusement articulé sur le jeu de Judith Chemla qui tourne le dos aux juges et semble seulement guidée par Dieu. La comédienne habite littéralement son personnage, avec la simplicité et la justesse qu’on lui connaît. Sauvage et libre, spontanée et directe, elle porte haut la voix des femmes humiliées, méprisées et violentées, et son regard bleu s’arme de courage et de rage pour défendre sa cause et justifier son habit d’homme. Et comme on comprend, aujourd’hui aussi, que Jeanne, analphabète mais si pertinente, souhaite garder son habit d’hommes pour batailler littéralement avec une centaines d’entre eux.
Une composition musicale essentielle

© Guy Delahaye
Camille Rocailleux a composé un véritable oratorio avec ses six musiciens tous chanteurs, qui rivalisent de talent. Mathieu Ben Hassen aux percussions, Emma Gergely au violoncelle, Robinson Julien-Laferrière aux trombones, Etienne Manchon aux claviers, Marie Salvat au violon alto et Hyppolyte de Villèle au cor et bugle sont les partenaires essentiels de ce voyage où le texte et la musique conversent. Nous sommes dans une église ou dans une ferme, dans une forêt où dans le coeur palpitant de Jeanne. Les belles lumières de César Godefroy sculptent l’espace et le visage de Judith Chemla jusqu’à l’embrasement final : un nuage rouge se déploie sur la scène et de la fumée envahit la salle. Une jeune fille a été sacrifiée : elle défendait la France mais elle offensait les dogmes de l’Eglise.
Hélène Kuttner
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