“Le Prix” : Ludmila Mikael face à Pierre Arditi pour évoquer un magistral oubli de l’histoire
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Dans une pièce signée de l’auteur Cyril Gely, adaptée de son roman éponyme, Lise Meitner, physicienne, et Otto Hahn, chimiste, se retrouvent en 1946 dans une chambre d’hôtel à Stockholm avant la remise du Prix Nobel de chimie à ce dernier. Ludmila Mikael, magnifique, et Pierre Arditi, royal, donnent corps à ces deux fauves de la science qui ont découvert la fission nucléaire, mais dont malheureusement seul l’un d’entre eux, Hahn, a été récompensé.
La consécration d’un homme
En 1946, un homme s’apprête à entrer dans l’histoire mondiale. Il se nomme Otto Hahn, est allemand, et a travaillé de longues années, trente ans, sur la fission de l’atome, en collaboration étroite avec une physicienne autrichienne et juive, Lise Meitner. Agé de plus de soixante ans, il attend, en compagnie de sa femme Edith, aux petits soins pour celui qui est surnommé « le père de la chimie nucléaire ». Son estomac le fait souffrir et il n’est pas d’humeur conciliante. Sans doute en raison du stress et de la lettre qu’il a reçue il a quelques jours, signée de Lise Meitner, lui annonçant son arrivée pour la remise de son prix. En effet, la physicienne a du s’exiler en Suède depuis l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938. Et justement, voici qu’elle débarque dans la chambre d’hôtel, peu de temps avant la cérémonie du Nobel.
La fission d’une amitié

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L’ambiance est plutôt amicale entre les deux scientifiques qui se connaissent parfaitement et se remémorent, tout sourire, leurs jeunes années à l’Institut Max Planck de Berlin, les premières découvertes faites ensemble et leurs travaux sur la fission nucléaire. Progressivement, au fil d’un dialogue intense et passionné, Lise révèle les motifs de sa venue. C’est elle, la première, qui a découvert le procédé de fission des noyaux lourds, comme elle l’écrit à la fin de l’année 1938 à son camarade Otto Hahn, avec lequel elle ne cesse de correspondre clandestinement. Lorsqu’avec Fritz Strassman, en 1944, les deux chimistes sont récompensés pour leur travaux sur la fission de l’atome, Lise Meitner est laissée de côté, malgré son apport capital dans cette recherche. On découvre aussi que cette découverte conduit rapidement à une autre conclusion : l’hypothèse d’une réaction en chaîne à partir de ce processus permettrait de libérer une impressionnante quantité d’énergie. Quand en pleine seconde guerre mondiale, Lise Meitner est conviée à participer au projet Manhattan, elle refuse d’être complice de la fabrication d’une bombe atomique. Elle reprochera aussi à ses camarades scientifiques allemand leur passivité face au nazisme.
Une interprétation vibrante

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La grande comédienne Ludmila Mikael incarne cette physicienne hors normes, qui s’entoure de beaucoup de précautions et de délicatesses pour aborder celui qu’elle va féliciter. D’une élégante sobriété, l’actrice entre délicatement dans la peau de Lise, pour progressivement échanger des informations et rappeler à son camarade qu’elle est aussi l’auteur de la découverte de la fission nucléaire. Impeccable et redoutable, la comédienne distille de sa voix particulière les précisions scientifiques et historiques de leur aventure, ne cachant pas son émotion quand elle doit évoquer la fuite d’Allemagne et la détermination à poursuivre une correspondance de chaque jour dans la clandestinité. Rien dans son jeu ne parait artificiel ni forcé, au contraire. Tout parait d’un naturel évident, d’une sincérité et d’une beauté profondes. Pierre Arditi joue Otto Hahn, et son interprétation, subtile et plus en retrait, s’accorde parfaitement avec celle de sa camarade de plateau. Il est celui qui l’a soutenue dans tous les combats, mais qui a tout de même récupéré tous les honneurs. Il l’admire, mais reconnaît qu’elle est restée dans l’ombre de l’histoire. Mis en scène par Tristan Petitgirard, Clara Borras et Emmanuel Gaury complètent la distribution de cette pièce qui, malgré quelques longueurs, parvient à révéler magnifiquement l’histoire d’une grande scientifique et d’une grande humaniste dont la reconnaissance à été tardive : deux cratères, l’un sur la Lune et l’autre sur Vénus, portent son nom, et l’élément atomique n°109, découvert en 1997, a été nommé « meitnerium ».
Helène Kuttner
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