Partage de midi – Théâtre Marigny
C’est ayant décidé d’en finir avec un passé assumé comme un échec, que trois hommes et une femme se retrouvent sur un bateau les menant vers une Chine désirée synonyme d’espoir. Ce voyage est pour eux l’occasion de dresser le compte des frustrations accumulées, mais d’interroger le sens encore, de leur vie passée comme de leur vie rêvée. Ôtés de tout et perdus entre ciel et mer, ces quatre là donnent à ce bateau des couleurs de radeau d’infortune sur lequel se laisser aller, aux dérives sentimentales, passionnelles et à l’abandon du sens commun.
Ysé est cette femme de trente ans, cette femme encore si belle en dépit de dix années d’oubli auprès de son mari Ciz et de ses enfants. Aristocrate déchu, si Ciz pense à sa femme, il est certain qu’il pense d’abord à l’argent à retrouver. Ysé se croit forte parce qu’elle joue le bonheur et la superficialité à merveille. Son manque de passion et de spiritualité la rattrape pourtant au cours de ce voyage qui la ramène à la parole franche et déstabilisante de son ancien amant Almaric, individu douteux, voire malsain. Mais encore et surtout pour Ysé, se trouve à bord ce mystérieux Mesa, jeune et sombre consul. L’amour qui frappe ces deux derniers agit alors comme une révélation, à la fois évidente, divine et mortifère.
Yves Beaunesne a opté pour la version 1905 du Partage de midi. Plus sanglante, cette version est la pièce exutoire dans laquelle Paul Claudel est parvenu à jeter la vérité de sa détresse amoureuse. Certainement parce que mordu au vif par sa rupture avec une Rosalie Vetch par laquelle l’écrivain a éprouvé la douleur de Mesa, la poétique illuminée de son Partage de midi est forte de contenir une teneur violemment vraie. Son écriture, en même temps qu’elle fait souffrir, décroche des sourires vaincus, désarmés devant le scintillement de mots incroyablement alignés…
Sobre et grande, la mise en scène d’Yves Beaunesne permet aux mots de Paul Claudel d’éclater dans toute leur splendeur et dans toute leur complexité. Dans un écrin glacial fait de voiles, de filets de marine, de lampes funéraires et d’un lit adultère, les mots arrivent, envahissant l’espace scénique et aboutissant entiers. Et ceux là résonnent encore à merveille, grâce à la justesse d’interprétation de quatre acteurs que l’on ressent acquis à la délicate poésie de Claudel. Entre le trio d’hommes de la comédie française et la césarisée Marina Hands, le courant passe tant et si bien que l’on se sent spectateurs intrus et voyeurs fascinés par un huis-clos délirant mais réaliste. L’ensemble saisissant n’empêche pas de remarquer la prestation supérieure d’une Marina Hands capable d’une incandescence des plus résolues, et qui colle au génie d’une écriture oscillant entre légèreté du bon mot et gravité métaphysique.
Du grand théâtre donc qui permet de faire exister un texte fulgurant mais difficile. Un théâtre qui nous embarque dans un voyage terrible, allant et venant en puissance entre l’espoir, l’amour et la mort. Jouissif et sobre, entre petite mort et mort véritable.
Christine Sanchez
Partage de midi
De Paul Claudel
Mise en scène d’Yves Beaunesne
Avec Eric Ruf, Christian Gonon, Hervé Pierre et Marina Hands
Du 11 septembre au 3 octobre 2009
Du mardi au samedi à 20h30
Le dimanche à 16h
Tarif : de 25 à 45 euros
Location : 0 892 222 333 / FNAC : 0 892 68 36 22
Théâtre Marigny
Carré Marigny
75008 Paris
M° Champs-Elysées Clémenceau
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