Le Misanthrope : Molière à l’honneur en sa Maison
Le Misanthrope (Reprise) De Molière Mise en scène de Clément Hervieu-Léger Avec Yves Gasc, Éric Génovèse, Florence Viala, Loïc Corbery, Serge Bagdassarian, Gilles David, Adeline d’Hermy, Jennifer Decker Tarifs : de 13 à 41 € Réservation au Durée : 2h45 avec entracte Comédie-Française M° Palais Royal-Musée du Louvre (lignes 1 et 7) |
Jusqu’au 8 décembre 2015 C’est un Misanthrope moderne aux accents de Tchekhov, qui, dans la mise en scène toute en finesse de Clément Hervieu-Léger, convainc, malgré quelques impairs, et laisse résonner la voix de Molière, claire et subtile, en sa Maison. L’Alceste de Clément Hervieu-Léger est jeune et sa fougue, son élan, sa radicalité autodestructrice tranchent avec la complaisance de la doucereuse et enjôleuse Célimène, objet de son désir. Alors que le soupirant écume d’une noire colère contre la société et ses faux-semblants, la belle frivole papillonne de prétendant en courtisan, débite à sa barbe de mielleuses paroles au timbre suave. La jeune veuve tire le nectar d’une société dont elle se délecte et qui lui va à ravir. Mais les ailes du papillon sont aussi jolies que délicates et fragiles.
Adeline d’Hermy, remarquable comédienne Car Adeline d’Hermy se révèle une remarquable comédienne dont les techniques corporelle et vocale parfaites la disputent à une sensibilité artistique avérée. La pensionnaire confère une épaisseur étonnante à Célimène qu’elle dessine tout en nuances, zones d’ombre et de lumière, forces et fragilités. Créature agaçante et séduisante, elle suscite aisément chez les spectateurs l’amour-haine, sentiment paradoxal que lui voue Alceste. Loïc Corbery, de même, dessine un misanthrope plus vrai que nature. Le choix de composer un misanthrope jeune est pertinent. Traversé par un souffle romantique dont la violence traduit tous les tourments de l’artiste écorché vif, alors qu’il s’inspire au piano de Glen Gould, il adopte des mimiques d’une justesse qui sidère autant qu’elle exaspère. Toute l’autodérision critique de Molière envers lui-même (Alceste étant un personnage d’inspiration autobiographique) est ainsi restituée. Chapeau bas également à l’interprétation de Serge Bagdassarian qui, hilarant dans le rôle de précieux ridicule, ivre de flatteries, imbu de sa personne, livre un travail de gestuelle étudiée avec une finesse avérée qui sert au mieux tout le grotesque du personnage. Des accents de Tchekhov La hauteur de plafond de cet entresol où deux escaliers montants et plongeants se croisent, d’où les personnages apparaissent, disparaissent, s’épient et se jaugent, dessine un espace vertical qui suggère la dimension spirituelle de la pièce. Alceste, tel un Icare, se brûle les ailes et l’ascension du lustre après la première scène, dont la lumière baigne le plateau, en constitue tout un symbole. Par ailleurs, la froideur du plâtre, le plancher qui grince, le mobilier rudimentaire entreposé sur le palier de l’appartement de Célimène, bien peu accueillant, présagent cet exil auquel est déjà condamné le soupirant avant même que l’action ne débute. Le temps étiré développe un sentiment d’ennui, de lassitude. Le caractère dépressif du héros, le thème de l’amour impossible, tout ici concourt à conférer des accents de Tchekhov à cette pièce de Molière à l’interprétation d’une grande vraisemblance psychologique, très moderne. Des soucis de prononciation qui rendaient certaines répliques inaudibles dans la première scène se sont heureusement dissipés. Si nous regrettons des transitions musicales dont le piano est trop insistant et peu approprié, les changements de décor à vue sont bien intégrés dans la pièce. Et nous nous réjouissons : enfin une mise en scène qui, dans la Maison de Molière, défend et laisse résonner, sans les étouffer sous des excès de grotesque, la finesse et la subtilité de son maître. Jeanne Rolland
[Visuels : Le Misanthrope de Clément Hervieu-Léger à la Comédie-Française, salle Richelieu © Brigitte Enguérand] |
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