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« Le Misanthrope » avec Eric Elmosnino magistral en atrabilaire amoureux

Helène Kuttner 15 mars 2025
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©Ephrem Koering

Au Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, Georges Lavaudant revient à Paris avec sa mise en scène formidable du Misanthrope de Molière, rôle qu’il confie au comédien Eric Elmosnino, tout en fureur et en fragilité amoureuse. Dans une scénographie au cordeau, faite de miroirs troublants, le jeu de la vérité, perdu d’avance au 17° siècle, se mue en quête de vérité impossible au 21° siècle. Fascinant.

Rompre avec le monde

« L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l’égard des autres. » écrivait le philosophe Pascal dans ses Pensées. Rompre avec le monde, telle est la volonté d’Alceste, misanthrope affligé par l’hypocrisie et la frivolité de la société mondaine qui entoure la cour du roi Louis XIV au 17° siècle. Lui, au contraire, revendique un idéal d’honnêteté et de transparence des sentiments, vertu que la noblesse a depuis longtemps oublié, obligée de se plier aux exigences et à l’hypocrisie de la cour. Au comble de son malheur, Alceste est aussi fou amoureux d’une jeune veuve de 20 ans, Célimène, qui triomphe dans les salons avec un esprit aussi vif que piquant. Molière, avec le génie d’une langue en alexandrins qui danse la valse et le tango, fait s’affronter ces deux personnages, l’amoureux furieux et sa maîtresse mondaine, pour mieux faire éclater leur impossible union. La femme éclatante mène le jeu et se sort de ses tromperies victorieuse, son amant misanthrope choisira finalement l’exil dans un désert pour calmer sa rage. 

Eric Elmosnino amoureux enragé

©Ephrem Koering

Cheveux gris en bataille, smoking de fin de soirée, le comédien interprète un Alceste enfiévré, qui distille chaque mot, chaque alexandrin avec la fougue d’un écorché vif qui ne supporte aucune contradiction. La vérité du sentiment, la justesse d’un compliment, la sincérité d’un acte et surtout la fidélité à des valeurs et à un amour sont les axes qui gouvernent sa ligne de conduite. L’acteur est d’une justesse, d’une profondeur et d’une précision sans failles, faisant voler en éclat le sonnet d’Oronte, joué par Aurélien Recoing : c’est un texte « franchement bon à mettre au cabinet ». Rien ne l’arrête, Alceste-Elmosnino torpille tout ce qui lui parait prétentieux et ridicule. À Philinte, qu’interprète avec un équilibre très philosophique François Marthouret, qui lui demande si tous les hommes méritent sa détestation, Alceste répond qu’il « hait tous les hommes » et qu’il se prépare aux procès que lui intentent ses ennemis. Don Quichotte de la vérité, chevalier de la pureté, ce Misanthrope ne semble avoir aucun répit, aucun appui. Ses armes sont ses mots, tranchants comme des lames. D’ailleurs, la scénographie de Jean-Pierre Vergier place derrière ces hommes en costume de soirée un mur de miroirs brouillés, sombres reflets d’une réalité à la complexité effrayante. Ce sont eux, noirs et mystérieux reflets des mensonges des vivants, avec les jeux de lumière de Georges Lavaudant et Cristobal Castillo-Mora, qui rythment cette danse sociale et satirique. La création sonore de Jean-Louis Imbert impulse des échos métalliques étranges à ce ballet des apparences qui pulvérise l’hypocrisie.

Des femmes qui prennent le pouvoir

©Ephrem Koering

Georges Lavaudant fait pivoter le mur de miroir pour faire apparaître une rangée de vêtements aux couleurs chatoyantes, soies et satins colorés, robes somptueuses. C’est le royaume de Célimène, les parures et déguisements de ses salons mondains. Mélodie Richard incarne la jeune veuve, avec une langueur et une grâce qui ne supportent aucun dérangement. Elle impose sa présence et sa beauté avec un calme olympien, qui offre un bouclier voluptueux à la fureur d’Alceste. À ses côtés, le Clitandre burlesque et roublard de Luc-Antoine Diquéro, paré de basques ornés de frou-frou blancs et l’Acaste cassant de Mathurin Voltz encadrent la coquine maîtresse d’Alceste qui n’en fait qu’à sa tête. C’est justement ce que lui reproche vertement, à la manière d’une dame patronnesse, l’Arsinoé collet monté d’Astrid Bas, qui prône fidélité et rigueur morale comme pour complaire à Alceste. Jeune et belle aussi, la cousine de Célimène, jouée par Anysia Mabe, se contenterait bien aussi d’Alceste. Et il est fascinant de voir apparaître, au grand siècle et sous la plume de Molière, ces femmes jeunes, modernes, qui décident de renverser la table, et qui veulent vivre pleinement, bien qu’elles soient encore soumises à la fortune de leurs maris. De cette lutte pour le pouvoir, ce spectacle rend magnifiquement les enjeux grâce à l’éclat d’une langue ciselée et à la précision diabolique comme une machine de guerre. Un vrai bonheur.

Helène Kuttner   

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