“Le Maître et Marguerite”, un merveilleux chaos à la Tempête
Feu d’artifice littéraire, Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov est adapté et mis en scène par Igor Mendjisky qui en restitue le foisonnement et la sublime folie avec une troupe enflammée.
Pour ce prodigieux tourbillon, la compagnie Les Sans Cou s’investit avec un sens du burlesque et de l’onirisme qui emporte le public. Celui-ci est d’ailleurs quelquefois sollicité et les quelques allers et retours entre la salle et le plateau rajoutent un cocasse brouillage des pistes entre réalité et fiction. Sur la scène présentée comme un ring cadré de néons et délimité par des gradins tri-frontaux, les comédiens endossent avec une énergie sans faille des rôles démesurés allant du diable à Ponce Pilate, d’un gros chat qui parle à la frêle Marguerite, l’amante pure et passionnée, en passant par des artistes enfermés dans des asiles et des médecins qui ont subrepticement quelque chose à voir avec la dictature soviétique.
La fresque théâtrale particulièrement bien rythmée parvient à reproduire l’univers de Boulgakov qui écrivit son roman de 1928 à 1940 tout en sachant que la censure de son pays entraverait la publication. Pour vaincre les interdits et passer outre les barrières du régime, le romancier s’est frayé un chemin grâce à une imagination décuplée et un sens de la fusion entre fantasmes et réel portée à un sommet. Théâtraliser une œuvre aussi enfiévrée requiert une adresse particulière dont le metteur en scène fait preuve à travers une palette de couleurs enivrante. Avec peu d’accessoires mais un écran en fond de scène judicieusement utilisé, des musiques classiques et contemporaines, et surtout des mouvements et des jeux de comédiens au tempo inventif et captivant, la gageure est relevée avec brio.
Que ce soient Jésus et Ponce Pilate qui manient la langue araméenne ou des amoureux qui déclinent leurs désirs en russe, les registres se croisent avec brio. Un directeur de théâtre en panique, des hommes à la plage auxquels le diable rend visite, une infirmière sournoise, une sorcière irrésistible, un magicien justicier, les personnages que l’on rencontre sont nombreux et tous se croisent dans des récits qui s’emboîtent, des époques qui se juxtaposent et un dérèglement du temps qui embarque le spectateur entre monde démoniaque et tentative idyllique. L’amour, le bien et le mal, la réalité de l’existence ou du néant, et surtout l’incroyable défi posé par l’art sont tour à tour explorés et brassés par des comédiens formidablement à la hauteur de cet univers carnavalesque, tragique, sublime et apocalyptique.
Émilie Darlier-Bournat
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