Le livre blanc de Cocteau – Théâtre Nout
Hazem El-Awadly, en adaptant à la scène cette partie de cache-cache, a voulu rendre le baroque d’un texte poussé jusqu’à l’exubérance, voire l’hystérie. Quant aux illustrations, elles nous claquent au visage avec leurs personnages en chair et en os, tout d’une pièce, fragiles et provocateurs. A l’étage du théâtre, un café oriental, océan de pouffes et de narguilés, au milieu duquel tranchent des personnages : garçons filiformes maquillés de blanc, femmes felliniennes, abbé à la soutane maculée de bougie, drag-queen grimaçante. En somme, la Roulotte de Cocteau revue par une Egyptien d’Alexandrie, ex-acteur de L’Epée de bois, metteur en scène et chef de troupe.
Hazem El-Awadly n’a fait que montrer la partie visible de l’iceberg, il nous propose maintenant d’y entrer. Le passage est constellé de miroirs dans lesquels se mirent des flambeaux. Et nous arrivons dans un hammam façon-ryad, avec ses mosaïques bleues, blanches, vertes et sa fontaine au centre. Le public s’étage sur des gradins couleur de sang. Car, dans la brume du bain de vapeur, la pénombre et sous le couvert des caresses et des baisers furtifs, le texte est sanglant. C’est celui de l’homosexuel réduit au silence : « Mes malheurs sont venus d’une société qui condamne le rare comme un crime. »
Edouard Pagant crache son désespoir. Ses mots sont des maux, que l’exigence du corps – la nudité – rend plus pathétiques. On ne se lasse pas de voir cet homme jeune aux cuisses puissantes, au ventre plat, à la carrure post-adolescente. Il épuise sa jeunesse sous nos yeux et se laisse emporter par un baroque aux couleurs saturées. On serait tenté de dire qu’il y a exagération et que tous ces gens qui s’agitent autour de lui et qui grillent leur désir, tels des papillons autour d’une lampe, sur-jouent. Mais c’est la volonté du metteur en scène qui se lâche, quand il transforme les femmes en monstres dignes de Pascin, peintre bulgare des années 1925 à Montparnasse. Jefferson Elveterio est parfait en cet emploi. Ce sexe débridé courtise parfois la mort. Pascin le premier, choisira le suicide comme beaucoup d’amis de Cocteau. Lui, se réfugiera un temps dans la dévotion. Et ce sera l’occasion de nous entraîner dans l’antre d’un couvent.
Mais les trois femmes vêtues de noir qui y tourbillonnent feraient plutôt penser aux Parques, habilitées à rompre le destin de chacun. Belle prestation ! Mathieu Guillou offre son corps torturé aux étreintes d’Edouard Pagant, tour à tour jardinier initiateur, marin de Toulon, amant de passage. En fin de parcours, d’hommes de désir, marionnettes du petit théâtre libidineux, ils deviennent hommes engagés, libres et responsables. Ainsi défendent-ils d’autres hommes qui, aujourd’hui encore, de par le monde, sont condamnés. De quoi les accuse-t-on ? D’aimer ceux qu’on n’a pas le droit d’aimer.
Pierre Bréant
Le Livre Blanc de Cocteau
Mise en scène de HAZEM EL-AWADLY
Avec Edouard PAGANT, Mathieu GUILLOU, Elise COLLIN, Laurence CHAYER, Marie CLUZET, Sébastien HARQUET, Jefferson ELVETERIO et le chien SNOUT.
Jusqu’au 27 juin 2010
Jeudi, vendredi et samedi à 20h30 et dimanche à 16h30.
Diner à l’Egyptienne 1 heure avant le spectacle.
Renseignements et réservations : 01 42 43 90 29
Tarifs : 17 € ; étudiant, 25 ans, carte vermeil : 13 € ; groupes (à partir de 10 personnes) et chômeurs : 7 €
Théâtre Nout
7, rue du 19 Mars 1962
Ile Saint-Denis
RER D Gare de Saint Denis
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