Le Libre Alcyon : “Sur scène, nous sommes des passeurs d’histoires”
“Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez !”
Au risque de décevoir André Chénier, au Libre Alcyon c’est une toute autre ambiance. Antoine et Léa Gheerbrant sont frère et sœur, ont 23 et 22 ans et co-dirigent la compagnie semi-professionnelle du Libre Alcyon depuis 2017.
Pouvez-vous tout d’abord nous parler de vos parcours respectifs ?
Antoine, debout, dans son habituel costume trois pièces : Je suis comédien, metteur en scène, auteur et traducteur. J’ai entamé ma formation professionnelle à 16 ans, après avoir emménagé à Paris. J’y ai suivi les cours de théâtre de l’école privée Périmony. J’ai également un master de littérature française, un master d’anglais et j’entame une thèse sur les pratiques théâtrales du XIXe siècle, en plus d’être spécialiste des pratiques théâtrales baroques. Je me suis formé au théâtre baroque au Théâtre Molière Sorbonne (TMS) et j’en fais de manière professionnelle avec la Compagnie Oghma.
Léa : En rejoignant mon frère à Paris, je suis passée, entre autres, par le CRR (Conservatoire à rayonnement régional) d’Aubervilliers et aujourd’hui, je suis au Conservatoire de Boulogne en chant lyrique. J’ai également intégré une école privée de théâtre mais l’enseignement ne me convenait pas, je voulais du concret. C’est à ce moment-là que j’ai rejoint le TMS. La technique à laquelle on a été formés là-bas est à contre-pied de tout ce qu’on nous apprend en école aujourd’hui. La gestuelle est particulière et nous déclamons de trois-quarts. Cette technique de jeu, très exigeante, nous a offert de grandes libertés en tant qu’acteurs, que ce soit dans la maîtrise de nos corps ou celle de nos mots. En parallèle, je fais mon mémoire universitaire sur le rapport entre prosodie et mélodie dans Les Vêpres siciliennes (Opéra en cinq actes de Verdi).
Pourquoi avoir choisi de créer votre propre compagnie ?
Antoine et Léa : Pour la liberté, toujours ! On veut faire ce que l’on veut.
Antoine : Léa et moi avons des idéaux artistiques en commun, bien à nous. On avait envie de mettre en scène et de jouer des rôles qui nous plaisaient, dans des spectacles qui nous plaisaient.
Léa : On a des idéaux très techniques. Le texte a une grande importance pour nous et je crée les musiques originales de nos spectacles. On se rapproche beaucoup du théâtre musical : nos mélodies accompagnent la parole. Cette année, nous avons travaillé avec une harpiste. L’an dernier, c’était avec un violoniste, un violoncelliste et une caisse claire. La musique se fait en live. En fait, on voulait pouvoir créer des spectacles complets qui plaisent à un large public.
Antoine, tu as mis en scène Cyrano de Bergerac en version intégrale l’an dernier à la Sorbonne Université. Cette année, c’est toi Léa qui crées Le Songe d’une nuit d’été en version quasi intégrale. Quelles sont vos exigences quand la compagnie se confronte à un grand texte ?
Léa : J’ai l’impression que beaucoup de metteurs en scène coupent des textes pour rajouter des longueurs de mise en scène qui n’apportent pas toujours directement à l’intrigue. Nous, on accompagne un maximum le texte. Avec Le Songe d’une nuit d’été, on est à peu près à deux bonnes heures de spectacle. Pour Cyrano de Bergerac, on était encore largement au-dessus.
Antoine : Oui, on était à 2h50. On n’a rien coupé du tout, rien modifié. C’était un défi que je m’étais lancé. Ce n’est pas une exigence généralisée à toutes nos productions mais on tient toujours à respecter le texte et ce qu’il veut dire. Quand on fait des coupes, c’est toujours pour des raisons techniques : soit on n’a pas le budget, soit on n’a pas assez de comédiens, soit les salles de spectacle n’acceptent pas des productions aussi longues. Plus je connais les textes et moins j’ai envie de les adapter librement ; ils ont été pensés par les auteurs pour être dramatiquement efficaces. Sur scène, nous sommes des passeurs d’histoires. Si les spectateurs y trouvent une profondeur en plus qui les fait réfléchir sur eux, sur leur société contemporaine, c’est encore mieux. Mais nous, nous sommes avant tout des conteurs. On ne rajoute pas de sens, de message, ni d’idéologie extérieurs à ceux de la pièce.
Dans votre compagnie, il y a des comédiens professionnels mais aussi des gens dont le métier n’est pas de de jouer. Comment gérez-vous vos Alcyons ?
Léa : Notre compagnie est “semi-pro”, on a des personnes qui se destinent au métier de comédien et d’autres qui sont informaticiens par exemple. Ce n’est pas un souci dans la mesure où ils trouvent la disponibilité qu’il faut pour jouer. On en discute ensemble. Tout le monde est bien au fait que la compagnie a comme objectif de se professionnaliser dans le temps. Je ne me vois pas virer un comédien non-professionnel présent lors de la création pour la reprise de notre spectacle. En revanche, la question se posera pour une nouvelle production prévue pour tourner. On fait confiance à chacun pour se positionner.
Antoine : L’important c’est d’avoir un bon niveau de jeu et d’être fiable. C’est ça pour moi “être pro”. Mais pouvoir rémunérer nos comédiens, c’est se débarrasser des critiques forgées par les attendus sociaux du genre : “Si vous ne rémunérez pas, c’est que vous êtes des amateurs”. À partir du moment où on pourra payer les gens, notre professionnalisme ne sera plus contesté et c’est aussi pour cette raison que c’est notre objectif à court et moyen terme. Au niveau du jeu et de la mise en scène, à nos yeux et à celui du public, nous sommes déjà pro.
Pourriez-vous nous parler de quelque chose qui vous tient particulièrement à cœur au Libre Alcyon ?
Léa : Je tiens absolument à dire qu’on forme une bonne équipe. On peut croire qu’une troupe ce sont des gens qui s’entendent bien mais c’est loin d’être toujours le cas. Pour Le Songe, on a eu plein de retours positifs de la part du public à ce sujet, qui sentait une “énergie incroyable sur scène, qui se transmettait à tous”. J’avais travaillé en ce sens, en plaçant la corporalité au cœur de ma mise en scène. Nos comédiens aiment ce qu’on leur propose et nous aimons ce qu’ils apportent, c’est essentiel pour avoir un travail de qualité. Chacun doit pouvoir performer au maximum de ses compétences, dans un environnement sain.
Antoine : Quand on fait une distribution, on met toujours chaque comédien à une place qui lui est utile : un rôle qui le met en valeur, qui le fait progresser… et c’est bénéfique au spectacle. C’est un équilibre gagnant.
Un de nos mots d’ordre, c’est l’expérimentation. Notre prochaine production rentre dans le domaine de l’historiquement informé. On fait travailler nos acteurs comme pouvaient travailler les comédiens du XVIe siècle. Je mets mes recherches universitaires en pratique, parce qu’on en a envie. La liberté, toujours !
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Pour regarder le portrait d’Antoine Gheerbrant sur YouTube, cliquez ici.
Propos recueillis par Olympe Jumel
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