Le Garçon sort de l’ombre – Théâtre de Poche Montparnasse
Le jeune garçon est interprété remarquablement par Sylvain Dieuaide. Fragile et en quête d’idéal, emporté par l’envie de prendre le large et tenaillé par les excentricités de sa mère, il ne révise pas son baccalauréat. Pas du tout. Il fume, il va rôder du côté du cabaret des prostituées, il se laisse embarquer dans de sales histoires, il prend acte de l’abandon du domicile conjugal par le père, il tente de dialoguer avec sa mère borderline, il tombe dans les griffes d’un homme aussi perdu que lui mais endurci et avec l’agressivité en plus.
Ce fils juvénile occupe la scène avec toute la violence et la tendresse de l’adolescence telle que beaucoup la connaissent. On pourrait se sentir pris dans un tableau déjà vu, celui de l’égaré vulnérable qui promène son désespoir sur les quais et fantasme quant aux échappées par le sexe sans oser y toucher. On pourrait aussi avoir l’impression de connaître déjà cette mère immature, destructrice et possessive, à laquelle Virginie Pradal donne avec une ambigüité magistrale cette extravagance pathétique qui bascule entre folie et infantilisme. On pourrait se considérer en terrain connu, genre Tennessee William, quant à ce rapport mère-fils qui mêle amour et engloutissement. On pourrait encore avoir le sentiment d’avoir déjà rencontré la prostituée au grand cœur, celle qui ménage l’enfant et qui sait les faiblesses désespérantes des pères. Idem pour le beau marin devenu rapace alors qu’on devine aisément combien il aurait pu être un ange. On pourrait encore continuer et avouer que le bruit de la mer autant que la fuite du côté du phare sont des lieux de rêve et de perte déjà maintes fois utilisés.
Seulement voilà, il y a dans cette histoire du fils broyé une puissance des mots, une solide construction avec poutres et solives, une avancée minutieuse et profonde des lents ravages que causent les pièges familiers ainsi qu’une précision sidérante des enchainements. Et puis s’y ajoute la mise en scène de Jean-Marie Besset, qui a saisi le texte à la loupe et s’est emparé de la direction d’acteurs avec une équerre. Tout est réglé pour que le spectateur chavire jusqu’au tréfonds de cette pièce puissante, qui continue de faire des vagues en vous bien après la traversée. Les images sont composées au millimètre de la nuance psychologique et dramatique, et l’atmosphère lourde se bâtit par degrés indiscernables et irréversibles, créant subtilement des sensations d’enfoncement dans l’ordinaire autant que des embardées dans le romanesque du lointain provoqué par un ressac d’océan.
On rentre dans cette univers familial avec la sensation du faits divers dont le naturalisme s’impose communément, puis lentement, en montant par petits paliers imperceptibles, on gravit jusqu’au sommet l’odyssée qui rejoint la tragédie où le fils, sacrifié, dévoré, illumine de sa candeur les terrifiants effets du monde adulte qui ne parvient pas à l’être, adulte. Et autour de la mère et du fils si convaincants, même les deux rôles moins importants du marin et de la prostituée, Marc Arnaud puis Chloé Oliveres et Sophie Lequenne en alternance, sont interprétés avec une sincérité si juste qu’elle renouvelle ces figures en les revêtant d’entrée de jeu de ce mélange de beauté et de mouvement fatal vers l’ombre.
Un jeune auteur à suivre
Il a écrit cette pièce peu de temps après ses vingt ans et il s’appelle Régis de Martrin-Donos. Son sens de la dissection de la violence qui se trame dans le cocon familial est d’une incroyable justesse. Il fait remonter à la surface des situations apparemment ordinaires les désespoirs et les chaos des destinées humaines sans cesse recommencées, autant que la mer. Il a tout saisi des implacables goulots qui menacent l’adolescence et il a perçu toute la fragilité des parents ou des aînés que la vie n’a pas aidés à devenir stables, solides, rassurants, et autres qualités qui font souvent défaut. Non seulement Régis Martrin-Donos a capté ces réalités humaines mais il les rend avec un ton qui lui est propre ainsi que des échappées furtivement romanesques très belles, où flotte parfois dans un jet rapide et brillant un humour vif autant qu’un vent lyrique.
A noter : une autre pièce de cet auteur est à l’affiche jusqu’au 26 mai dans ce même théâtre avec Diderot bagarre, un autre genre, plus académique, d’après la correspondance de Denis Diderot.
Isabelle Bournat
Le Garçon sort de l’ombre
De Régis de Martrin-Donos
Mise en scène de Jean-Marie Besset
Avec Virginie Pradal, Sylvain Dieuaide, Sophie Lequenne ou Chloé Oliveres et Marc Arnaud.
A partir du 14 mai 2013
Du mardi au samedi à 21h
Le dimanche à 15h
Tarifs : de 10 à 35 euros
Réservations par tél : 01.45.44.50.21
Durée : 1h 40
Théâtre de Poche Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse
75006 Paris
M° Montparnasse
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