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Le flamenco en fête à Chaillot

Thomas Hahn 20 janvier 2020
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Olga Pericet © Paco Villalta

Avec Eva Yerbabuena, Andrés Marín et Rocío Molina, trois vedettes absolues de la danse flamenca vont réjouir les aficionados et ceux qui veulent les rejoindre. Eux-mêmes friands de découvertes, ces chorégraphes ne sont pourtant pas là où on les attend. Ici, le flamenco fête sa liberté. Contagieuse.

Les festivals de flamenco sont nombreux, particulièrement en France. Car il existe, indéniablement, un engouement ardent pour les musiques et les danses d’Andalousie. Avec les musiciens, chanteurs et danseurs de Séville, Xérès…, l’idée de festival prend par ailleurs un sens particulier. Le flamenco est festif et les aficionados apprécient la possibilité de plonger dans cet univers tellurique et ensoleillé, exaltant et dramatique. Le très beau festival de flamenco de Nîmes à peine terminé, commence celui du Théâtre national de la Danse de Paris – Chaillot. En fait, une biennale. Et même si une salle de spectacles parisienne n’est pas un tablao sévillan, la possibilité d’enchaîner plusieurs spectacles fait son effet.

On peut, bien sûr, aussi bien décider de suivre un ou une artiste en particulier. La scène flamenca regorge de personnalités extraordinaires et d’artistes saute-frontières. L’Andalousie n’est plus une enclave, et beaucoup de chorégraphes du flamenco aiment se confronter aux musiques et danses les plus diverses. D’autres réinventent la tradition en introduisant plus d’éléments dramaturgiques et vivent la relation entre danse et musique de manières de plus en plus inventives. Mais tous le font dans le respect et l’amour du lien historique et organique entre les disciplines.

Andrés Marín rencontre Marie-Agnès Gillot

Andrés Marín fait partie des plus grands innovateurs de la tradition flamenca. Après avoir dansé sa vision contemporaine et caustique des aventures de Don Quichotte, il présente ici un tout nouveau duo avec une partenaire illustre, Marie-Agnès Gillot. L’ancienne danseuse étoile de l’Opéra de Paris se lance aujourd’hui dans une carrière éclectique et singulière, multipliant les projets inventifs et imprévisibles. Avec Marín, elle interprète un duo, ce qui est en soi une transgression sur les terres du flamenco, puisque cette danse a l’habitude de s’articuler entre solos et grands ballets.

Magma est une rencontre libre entre deux personnalités, deux artistes d’exception, au-delà des catégories. Flamenco, ballet, danse contemporaine, mime et même une sorte de danse contact se côtoient avec bonheur, dans une curiosité mutuelle. Le titre est par ailleurs composé des leurs initiales : Marín Andrés / Gillot Marie-Agnès. Où elle apporte son élégance et l’incroyable fluidité des bras : des ailes, en somme, à la calligraphie créant une illusion d’apesanteur. Où lui s’affiche en acteur burlesque, retrouvant l’esprit de son personnage de Don Quichotte, son dernier grand spectacle, avec un vrai don pour le burlesque. Et le flamenco fuse, de façon inattendue, entre ses gestes dans l’esprit d’un Tex Avery.

Magma © Julien Benhamou

L’architecte de cette rencontre n’est autre que Christian Rizzo, éminent chorégraphe contemporain, directeur du Centre Chorégraphique National de Montpellier, mais aussi plasticien et scénographe. Les costumes en raphia sont de lui. Ça semble venir d’un autre monde, d’un autre continent. Le début et la fin sont un jeu de cache-cache entre les danseurs, entre l’humain et un monde animal ou animiste. Et la musique, repère absolu dans chaque spectacle de flamenco ? Deux musiciens sont sur le plateau, dans le respect de cette tradition.

Mais ils jouent un rock contemporain ou underground en constante mutation et de tendance free jazz, où les deux danseurs deviennent à leur tour les instruments calligraphiques d’une musique synesthésique, d’un magma artistique imprévisible et en pleine effervescence. Magma est la rencontre rêvée entre deux artistes qui sortent des sentiers battus de leurs disciplines respectives et font ainsi avancer nos idées sur la danse.

Rocío Molina en liberté absolue

Des vedettes féminines de la discipline, elle est l’enfant terrible, une iconoclaste artistique qui est allée, récemment, jusqu’à danser son désir d’enfant, sa grossesse, sa relation à sa mère et son coming out de lesbienne. Molina, c’est le flamenco en état de rébellion, et même de révolution permanente. Son Impulso ouvre une nouvelle voie, où elle invite des artistes de son choix, des styles les plus divers, à partager la scène avec elle. Voilà une performance dans le vrai sens du terme, dans la liberté artistique absolue, trois heures durant, qui ne se produit qu’une fois. Où l’on assiste en même temps à une séance de recherche de Molina pour un spectacle à créer prochainement.

Eva Yerbabuena au Japon

Face à Molina, Eva Yerbabuena ferait presque figure de vieille garde. Elle est l’une des références absolues, mais plus attachée aux formes traditionnelles. Pourtant, elle présente avec Cuentos de Azúcar un solo sur les chants d’une Japonaise, Anna Sato. S’y croisent des musiques traditionnelles des îles du Japon du sud, le tambour japonais, le chant flamenco de Miguel Ortega et Alfredo Tejada et celui d’Anna Sato. Et bien sûr, la fougue et le sens du rythme de Yerbabuena, fraîchement décorée de la Médaille d’or des Beaux-Arts d’Espagne. Mais sa recherche souligne bien à quel point la création flamenca pour la scène aborde aujourd’hui des thèmes sociétaux et se détache d’un flamenco où la virtuosité se suffit à elle-même.

Olga Pericet

Comme tous les arts, le flamenco ne cesse de se renouveler. De jeunes chorégraphes tracent leur chemin entre la tradition et le jeu distancié avec elle. Deux chanteurs et deux musiciens accompagnent Olga Pericet, la plus jeune des solistes chorégraphiques de cette quatrième édition de la Biennale, dans La Espina que quiso ser flor o la Flor que soñó con ser bailaora. Elle salue les origines en plaçant sur scène une table et des chaises d’une maison de campagne. Mais elle joue avec les chaussures et sa bata de cola (robe de flamenco), dessinant au passage le portrait d’une femme, entre légèreté enfantine, ballerine, folklore espagnol et désirs d’ailleurs.

Ana Morales

Le titre en dit long sur la liberté d’esprit de la jeune garde flamenca. Sans permission : Sin permiso – Canciones para el silencio. Le silence, c’est celui de son père auquel Morales rend un hommage sobre, sincère et profond, aux côtés du danseur José Manuel Álvarez. Morales, déjà distinguée quand elle fut encore soliste au Ballet flamenco d’Andalousie, étend ici la gamme de la musique flamenca en direction de la création électronique et du rock, alors que la danseuse peut se présenter très sobrement en justaucorps et même en costume d’homme. Elle y parle de sa vie, d’une histoire d’amour et bien sûr de son père. Où danse et théâtre ne font plus qu’un, où les musiciens aussi sont des personnages dramatiques.

David Coria / David Lagos

Si les femmes sont majoritaires dans cette Biennale, la jeune génération masculine est représentée par le danseur David Coria, qui vient, comme Ana Morales, du Ballet flamenco d’Andalousie. Mais il a aussi dansé au Ballet National d’Espagne. Il vient à Chaillot avec ¡ Fandango !, un solo de danse qu’il a conçu en étroite collaboration avec le chanteur David Lagos. Ici tout particulièrement, le chant guide la danse, dans son rapport à la tradition, puisque Lagos est une voix importante dans l’évolution de la tradition musicale, par l’intégration d’éléments électroniques. Entre les deux hommes, se déroule un face-à-face dramatique et plein de passion.

Thomas Hahn

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