Le Festival d’Automne, une histoire de (la) danse
Festival d’Automne Septembre-décembre 2016 |
D’un portrait de Lucinda Childs aux dernières créations des game changers les plus récents, le Festival d’Automne nous présente l’histoire des révolutions en danse contemporaine: Maguy Marin, Anne Teresa De Keersmaeker, Raimund Hoghe, Boris Charmatz, Lia Rodriguez, Robyn Orlin, Bouchra Ouizgen… Les carrières de chorégraphes peuvent durer un demi-siècle. Mais chaque personnalité-clé marque une décennie, à partir de laquelle elle impose sa griffe et renouvèle le regard sur la danse. Cette ascension est précédée par une phase de démarrage et suivie d’une longue route en altitude de croisière (sans exclure des disparitions soudaines). Le Festival d’Automne, sans avoir la moindre intention pédagogique, n’offre pas moins qu’un parcours à travers les dynamiques de la danse contemporaine depuis les années 1960, par une sélection de chorégraphes particulièrement novateurs, singuliers et déterminants. 1960/70: Lucinda Childs, Steve Paxton Point de départ et de pivot de cette édition, le focus sur Lucinda Childs pose les bases, avec un retour sur ses débuts dans les années 1960, à travers plusieurs pièces brèves interprétées soit par sa nièce Ruth Childs, soit par Mathilde Monnier, grande chorégraphe française, aujourd’hui directrice du Centre National de la Danse. Le Festival d’Automne reprend ici la danse dite « postmoderne » par la racine, à savoir au moment historique où se constitue le mouvement artistique de la fameuse Judson Church, autour d’Anna Halprin, Lucinda Childs, Steve Paxton et autres Trisha Brown. On retrouve par ailleurs Steve Paxton en tant que chorégraphe de « Quicksand » (Sables mouvants), un « opéra-roman » de Robert Ashley, œuvre hypnotique d’une durée de trois heures où se croisent des éléments narratifs d’une histoire d’espionnage, des tableaux de lumières, des scènes musicales et chorégraphiques et bien sûr la narration par la voix enregistrée d’Ashley, disparu en 2014. Le style de Childs s’est forgé au cours des années 1970, avec son travail sur la pulsation de structures obsédantes, autant dans les corps que dans les musiques, notamment de Phil Glass (pour « Dance » de 1979, ici interprété par la Ballet de l’Opéra de Lyon) ou Henryk Görecki. Childs trouve ici, depuis son solo dans « Einstein on the Beach » de Bob Wilson, le langage et l’énergie qui l’ont portée à une carrière mondiale. Dans telle pièce c’est la fusion avec d’autres champs artistiques, dans telle autre l’utilisation d’objets et de gestes du quotidien qui participent d’une révolution des codes artistiques de la danse. Une libération fondamentale qui a permis à la danse de continuer la remise en question de ses propres principes (parfois en faisant scandale) commencée par Nijinski. 1980 : Anne Teresa de Keersmaeker, Maguy Marin En 1983, Childs crée « Available Light » dans un entrepôt désaffecté, en collaboration avec l’architecte Frank Gehry qui joue avec la lumière du jour filtrant dans ce décor urbain d’intérieur. En 1993 suit « Concerto » qui affine la recherche sur les trajectoires, et en 2000 « Description (of a description) », basée sur un texte de Susan Sontag. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=Hsh8k432hSw[/embedyt] Lucinda Childs créera une « Grande Fugue », une chorégraphie sur la « Grosse Fuge » de Johann Sebastian Bach, dans un programme partagé avec deux autres chorégraphes ayant interprété cette œuvre-clé du grand précurseur du romantisme allemand. Réflexion sur la structure, libération… Childs qui a tant exploré la musique contemporaine revient ici aux sources, avec une création toute fraîche avec le Ballet de l’Opéra de Lyon. Les deux autres Grandes Fugues appartiennent à deux chorégraphes majeures ayant marqué la danse à partir de années 1980, à savoir Anne Teresa de Keersmaeker et Maguy Marin. Ce triptyque autour de Bach est doublement un événement de premier plan. Premièrement parce qu’il permet de confronter l’écriture de Childs, au cours de cette 45e édition du Festival d’Automne, un demi-siècle après la création de ses « Early Pieces ». Deuxièmement par la possibilité de comparer trois chorégraphes de référence dans leurs approches d’une même partition. 1990 : Boris Charmatz, Raimund Hoghe Après plusieurs pièces à grand effectif, créées entre autres au Festival d’Avignon, Boris Charmatz revient à un format plus resserré, comme pour les pièces qui l’ont fait connaître dans les années 1990. « danse de nuit » sera une partition pour sept interprètes, à la fois chorégraphique et vocale, portée par un certain mystère nocturne et l’esprit des danses urbaines. Et au lieu d’aller sur les plateaux des théâtres, la « danse de nuit » investira autant une friche industrielle à La Courneuve que le Louvre. On retrouve dans cet éclectisme la mobilité des premières pièces qui ont fait connaître l’actuel directeur du Centre Chorégraphique National de Rennes (« A bras le corps » et « Aatt…enen…tionon »). Raimund Hoghe est devenu une référence à partir de 1994, en créant son solo « Meinwärts » (vers moi-même). L’ancien dramaturge de Pina Bausch cherche moins à surprendre qu’à constituer un œuvre d’une cohérence absolue, poétique et sensible, répondant avant tout à la qualité des êtres humains présents dans chaque spectacle. A partir de leurs relations et l’inspiration puisée dans des musiques populaires de tous genres (chanson, classique, jazz…), le mélomane de Düsseldorf donne corps à sa délicatesse, son sens de l’espace, des présences, des rythmes… Dans « La Valse » il se penche sur une partition de Maurice Ravel qui n’a pas accédé au statut culte du « Boléro », mais a été une commande de Serge de Diaghilev pour les Ballets Russes. La composition fut perturbée par la première guerre mondiale et créée en 1920. Mais le maître des Ballets Russes refusa finalement d’en faire un ballet. La cadence 1-2-3,1-2-3 est a priori opposée à l’esprit « long fleuve tranquille » des pièces de Hoghe, qui compose sa pièce à partir des versions pour piano et pour orchestre. Nous prépare-t-il finalement une surprise, malgré tout? 2000 : Lia Rodrigues, Robyn Orlin Chez la Brésilienne Lia Rodrigues et la Sud-Africaine Robyn Orlin la danse ne se conçoit pas sans engagement politique et sociétal. Dans « Para que o céu nao caia » (Pour que le ciel ne tombe pas) elle compose des images époustouflantes de corps, de mouvements et de poudres (café, farine, curcuma). Le public entourant les danseurs ou se plaçant librement dans l’espace, les interprètes, vêtus uniquement de fines couches de fards naturels, peuvent passer de longs moments à échanger d’intenses regards avec les spectateurs. Une expérience autant qu’une pièce chorégraphique. Orlin a composé un solo de chant, danse, théâtre et vidéo pour un performer hors du commun, Albert Ibokwe Khoza. Corps plantureux à l’image d’une sculpture de Botero, voix de chanteur de haut vol, humour, extravagance… « And so you see… our honorable blue sky and ever enduring sun… can only be consumed slice by slice…”, titre typique pour Orlin dans son exubérance, renvoie au ciel et à la question de la survie de l’humanité, tout autant que la pièce de Lia Rodrigues. 2010 : Bengolea/Chaignaud, Bouchra Ouizgen, Noé Soulier En Europe, peu de créateurs peuvent se mesurer avec la folie des pièces d’Orlin. Cecilia Bengolea et François Chaignaud sont de ceux-là. Le duo de chorégraphes ne cesse de tirer des idées incongrues de ses explorations du clubbing newyorkais et a récemment ajouté un tour à la Jamaïque. Il n’y avait plus qu’à combiner le Dancehall au parfum de ganja avec des chants grégoriens et médiévaux, apport de Chaignaud, qui n’est pas seulement danseur mais aussi un chanteur haute-contre. On peut parier que le duo, renforcé par trois danseuses, laissera libre cours à ses fantaisies. Depuis 2008 et son spectacle « Madame Plaza », Bouchra Ouizgen nous fait découvrir la force des chanteuses de cabaret et autres femmes marocaines, dont beaucoup sont déjà grand-mères, et leur fait découvrir le monde des festivals européens. Démarche artistique, vérité de la vie, rupture avec les codes des deux côtés et engagement citoyen sont ici inséparables, pour créer des spectacles joyeux, hypnotiques et spirituels. Il en émane une force absolument singulière, comme dans « Corbeaux » où la transe du rituel dansé et chanté se mêle à un éloge de la folie au sens de sagesse et e liberté. A l’opposé d’Ouizgen, on trouve Noé Soulier, jeune surdoué qui passe toutes sortes de structures musicales et chorégraphiques au peigne fin, les déconstruit et recompose avec sagesse et humour. Dans sa nouvelle recherche intitulée « Deaf Sound », il utilise sa capacité à ouvrir des portes et regarder des mondes depuis l’intérieur pour s’intéresser à l’univers perceptif des sourds par rapport aux sons. La langue des signes devient ici une orfèvrerie chorégraphique du geste. Thomas Hahn Photos: Sally Cohn /Nathaniel Tileston / Jurij Konjar / Sammy Landwehr / François Chaignaud / Hasnae El Ouarga |
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