Le Festival Beckett à Roussillon : un “Godot” magnifique
Du 15 au 18 juillet, dans le cadre d’ôkhra-écomusée de l’ocre, la 22e édition du Festival Beckett, dirigé par Stéphane Valensi, a accueilli le chef-d’œuvre de l’auteur, En attendant Godot, dans une mise en scène lumineuse d’Alain Françon et les comédiens André Marcon, Gilles Privat, Philippe Duquesne, Eric Berger et Antoine Heuillet. Ce fut un grand moment.
Un cadre rêvé
Le village de Roussillon, situé en plein cœur du Luberon et du plus important gisement d’ocres du monde, est un lieu magique. C’est ici que vint se réfugier Samuel Beckett durant l’Occupation, de 1942 à 1945, et qu’il se cacha, avec sa compagne Suzanne, chez les Bonnelly. Il devint ouvrier agricole et participa aux vendanges. Roussillon sera son salut et son inspiration puisqu’il décidera de faire du Français sa langue d’écriture et donnera naissance à son œuvre maîtresse, En attendant Godot. Au début du deuxième acte, Vladimir rappelle à Estragon, le temps où ils faisaient les vendanges chez les Bonnelly : “Pourtant nous avons été ensemble dans le Vaucluse, j’en mettrais ma main au feu. Nous avons fait les vendanges, tiens, chez un nommé Bonnelly, à Roussillon…là-bas, tout est rouge…” C’est peu dire que le cadre du Festival Beckett, avec sa clairière surplombante et sa perspective ouvrant sur un ciel étoilé, constitue un décor rêvé pour l’attente du rendez-vous avec Godot. Seul l’arbre, au cas où il faudrait se pendre, dresse son tronc mince en forme d’arabesque ou de point d’interrogation dans la nuit chaude de Roussillon.
Des acteurs d’exception
L’histoire, c’est celle de deux vagabonds, Vladimir et Estragon, qui se retrouvent sur une route de campagne à attendre un homme qu’ils ne connaissent pas, Godot. Ce dernier ne viendra ni le premier jour, ni le second. Seul viendra Pozzo, un maître autoritaire, qui tient au bout d’une corde son domestique essoufflé, Lucky. Pourquoi ces quatre personnages se rencontrent-ils ? Et pourquoi Didi (Vladimir) et Gogo (Estragon) persistent-ils à attendre une illusion, un fantôme ? Ce sont les questions que pose cette pièce et auxquelles l’auteur s’est toujours défendu de répondre. Alain Françon suit magnifiquement cette ligne de crête mystérieuse et dirige ses comédiens avec une rigueur éclatante. C’est la seconde version qu’il met en scène, plus ramassée, et il orchestre le rythme sans temps mort, avec une énergie et une vitalité joyeuse, qui circule entre ces deux clowns célestes. André Marcon, le terrien qui grogne comme un enfant perdu, est un Gogo qui perd sa chaussure et a besoin de Didi pour survivre. Ce dernier, joué par Gilles Privat, possède la légèreté d’un Pierrot lunaire, gambade et plaisante, pour protéger son compagnon.
Une feuille entre la vie et la mort
Ainsi interprété, avec la simplicité et l’innocence d’un conte pour enfants, le texte se pare d’une fraîcheur nouvelle grâce aux comédiens tous formidables. Le Pozzo de Philippe Duquesne, qui le joue à la manière d’un vaudeville et avec un naturel évident, s’accorde à merveille avec le Lucky d’Eric Berger qui semble à lui seul concentrer toute la détresse du monde. La scénographie de Jacques Gabel, les belles lumières de Joël Hourbeight, les costumes finement conçus par Marie La Rocca, les maquillages lunaires de Cécile Kretschmar, sertissent le spectacle de manière élégante. Un spectacle, qui avait été créé à Lyon aux Nuits de Fourvière, et qui trouva son écrin magique à Roussillon où le public conquis semblait entendre le texte pour la première fois.
Hélène Kuttner
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