Le FAB : 15 jours d’effervescence
Pendant deux semaines, arts visuels, performances, musique, danse, cirque, théâtre, projets hybrides et participatifs irriguent le territoire de Bordeaux métropole, dans les salles comme hors les murs. Focus sur quelques temps forts du Festival des Arts de Bordeaux, dont la rétrospective inédite consacrée au plasticien Theo Jansen.
Entre le 1er et 16 octobre, les découvertes seront nombreuses, avec des projets d’envergure, des expériences sensibles et des spectacles aux propos puissants. Beaucoup de propositions sont festives, comme les FABOUM, ces soirées populaires qui ouvrent et clôturent le festival. Le dernier week-end, la Toy Party du détachement international du Muerto Coco promet d’ailleurs d’être déjantée.
Au fil de la Garonne
Hybride et foisonnante, la programmation est une ode aux inclassables. Comme fil rouge : un fleuve et ses affluents. « La Garonne et ses rives (urbaines et naturelles), ses affluents, ses sources, les zones humides, les parcs et jardins sont autant de sites que nous faisons résonner avec des œuvres vivantes, engagées et généreuses », explique Sylvie Violan, directrice du FAB et du Carré-Colonnes de Saint-Médard-en-Jalles. « Côté ville, il s’agit de proposer à des artistes de dialoguer avec elle, ses habitants, ses mobilités, son (ses) histoire(s), par des explorations urbaines, notamment autour du pont de pierre, emblème de Bordeaux, qui fête cette année ses 200 ans ».
Après les premiers spectacles au bord de l’eau (Pigments du CirkVOST), dans un parc (Racines de L’attraction Compagnie) ou les sous-bois, nous sommes donc partis à la recherche des Pheuillus, ce petit peuple de migrants nés de feuilles mortes. Des âmes végétales qui bousculent notre manière de voir, de ressentir le paysage, de questionner nos modes de vie et d’éprouver notre hospitalité. Au cœur de la ville (place Pey-Berland), Agnès Pelletier, quant à elle, sortira des cadres pour mieux décaler notre regard (Habiter n’est pas dormir). Chez elle, tout est prétexte à rire et à mouvement.
Ensemble
Celle-ci est aussi l’auteure de la déferlante chorégraphique Panique Olympique / Cinquième. Un flashmob qui a déjà rassemblé 2 000 personnes dans différentes villes de la région… L’objectif ? Inaugurer les J.O. à Paris en 2024. Des centaines de danseurs et amateurs, toutes générations confondues, ont investi l’espace public. Une aventure généreuse et riche de surprises.
Le plasticien Olivier Grossetête mise aussi sur la force de l’énergie humaine et du collectif pour entrer en dialogue avec la ville, ses habitants et son histoire. Son projet NEV : construire ensemble une œuvre monumentale en carton qui s’inspire des pavillons d’octroi, à l’entrée du pont de Pierre (côté Bastide). Une architecture unique, éphémère et poétique, sans grue, ni machine.
Sur le même pont, Guy Regis JR joue le rôle du passeur dans une longue traversée de vies oubliées. Des milliers ! Une capsule sonore nous projette dans l’univers mental et physique de la traite d’esclaves. Ce travail de mémoire vise à redonner corps et vie à tous ces inconnus ayant subi le commerce triangulaire sur l’île de Saint-Domingue entre 1680 et 1800. Une démarche nécessaire pour Bordeaux, qui a reconnu tardivement son implication, pourtant importante, dans ce crime contre l’humanité.
Autre expérience intéressante : Quand ça commence, de la cie De chair et d’os, explore l’amour, les doutes et les convictions de plusieurs générations de femmes. Dans une maison vide, mais pas silencieuse, une mallette bien en vue attise la curiosité du visiteur. Un drôle d’aventure (pour une seule personne à la fois).
Grandes formes en extérieur, formats insolites ou plus classiques, la plupart des propositions détonnent. Parmi les onze créations 2022, Pour que le vent se lève, mise en scène de Nuno Cardoso et Catherine Marnas, fait l’événement au TnBA. Gurshad Shaheman s’approprie ici la Trilogie des Atrides pour faire résonner aujourd’hui le mythe des origines du théâtre. Cet appel international à lutter contre la barbarie s’inscrit dans le cadre de la saison culturelle France-Portugal. Un ambitieux projet qui allie combat politique et éclats poétiques.
Autres propositions à retenir : la Vie est une fête des Chiens de Navarre qui, après s’être emparée de l’amour, du racisme, de la famille, nous embarquent à ses trousses aux urgences psychiatriques et épinglent l’obscénité de l’actualité. À voir, également, l’ode à la mobilisation de Jan Martens inspiré des mouvements de protestation Black Lives Matter, Gilets jaunes, Youth for Climate. La poésie s’invite aussi dans la création du thaïlandais Wichaya Artamat, connu pour son approche non conformiste de l’histoire de son pays. De quoi nous ouvrir, larges, les voies de la liberté, sinon accéder au champ des possibles.
Theo Jansen, invité exceptionnel
Avec ce plasticien néerlandais, on peut s’attendre à tout. On se préparait donc à prendre notre envol ! Et ce fût un bien beau voyage. Cet héritier de l’art cinétique laissé une œuvre originale. Grâce au FAB, Theo Jansen présente, en France, une rétrospective inédite de son travail au MusBA (l’exposition dure trois mois). Au-delà des prouesses techniques, une œuvre poétique à portée humaniste (lire l’article ici).
Comme le fleuve et ses affluents, qui relient les 23 communes de l’agglomération bordelaise, le FAB souhaite rassembler la population autour de propositions de qualité. Par des projets participatifs ou gratuits et bien plus encore ! Et, en effet, cette exceptionnelle programmation nourrit les imaginaires, bouscule les certitudes, crée des opportunités de rencontres, bref reconnecte à l’essentiel.
Sarah Meneghello
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