“Le Consentement” : Ludivine Sagnier porte avec talent la parole dévastatrice de Vanessa Springora
© Christophe Raynaud de Lage
Le livre brûlant de Vanessa Springora, paru il y a maintenant presque trois ans, est porté à la scène par la comédienne Ludivine Sagnier dans une mise en scène de Sébastien Davis et un accompagnement musical de Dan Lévy. L’affaire Matzneff, cette histoire d’emprise sur une adolescente “consentante”, prend ici toute son poids par le combat terrible entre innocence et perversion. Un spectacle poignant.
Echographie d’un abus

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Sur le plateau, en fond de scène, un voile de papier calque figure la dichotomie entre réel et fiction, apparence et vérité, comme la page d’un livre emprisonne les personnages de fiction auxquels un écrivain maître d’œuvre assigne un rôle, une fonction, des actions. « Je ne suis pas une fiction » clame Vanessa Springora dans la peau de Ludivine Sagnier à travers son récit écrit trente ans après « l’affaire », au moment où, derrière ce voile, elle se dénude et lutte désespérément contre le rôle qu’on lui assigne. A ses côtés, dans l’ombre, un musicien fait palpiter le rythme d’une composition musicale haletante comme un coeur qui bat, faisant écho à la jeune femme dans des monologues hallucinés, comme pour chercher un sens à sa propre vie. C’est à 14 ans, en pleine adolescence, que l’autrice, par l’intermédiaire de sa mère qui travaille dans le milieu de l’édition, a rencontré Gabriel Matzneff, alors que l’écrivain de 50 ans jouissait d’une confortable notoriété et était invité du tout Paris.
Exister aux yeux de tous

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Ce coup de foudre, cet éclair lancé par un prince russe aux yeux bleus envoûtants, la jeune fille ne peut y résister et s’y jette même avec passion comme dans un feu dévastateur. Il faut dire qu’à sa décharge, son père avait quitté le domicile familial, ne se préoccupant plus de sa fille, et que sa mère paraissait pleinement s’accommoder de cette liaison, à condition de ne pas trop l’ébruiter. Figure paternelle, héros littéraire, sorte de Pygmalion qui façonnerait sa Lolita à la lumière d’un Nabokov, c’est ainsi que l’auteur décrit le maître de cette emprise, dont le spectacle, par la grâce animale de Ludivine Sagnier, nous livre la complexité et l’effarant vertige. C’est par l’écrivain, et la fiction que l’héroïne va enfin trouver son droit d’exister, de se faire aimer, admirer. Mais c’est aussi par l’écriture et l’autorité d’un discours dominateur, qu’elle se retrouvera prisonnière, encagée dans un fantasme masculin dont elle n’est que l’innocente victime sacrificielle.
Un texte nécessaire

© Christophe Raynaud de Lage
Si trente années ont passé et que les paroles des femmes se sont libérées depuis, avec les mouvements comme #Me Too, le spectacle joué par Ludivine Sagnier, d’une présence vibrante, nous parle comme si cela se passait aujourd’hui, pour tous ceux qui subissent encore de tels phénomènes d’emprise. Habillée en tenue de joggeuse, baskets aux pieds, la comédienne évolue durant une heure et vingt minutes comme si elle boxait contre des Titans, la société entière étant complice de cette aventure fatale. La mise en scène multiplie les déplacements et les espaces, sans doute de manière trop insistante, mais l’impression de bête traquée, d’une adolescente totalement décalée de son milieu amical et scolaire, dérivant vers une dépersonnalisation croissante, est superbement rendue par le jeu et la sincérité de l’actrice. Ce qu’elle incarne, ce qu’elle joue, procède autant du réel que de la fiction, de la vie comme du théâtre, dans un geste de survie perpétuelle et salutaire. Bravo.
Hélène Kuttner
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