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“Lazzi” : Philippe Torreton et Vincent Garranger au bout de leurs vies

Hélène Kuttner 11 septembre 2022
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© Christophe Raynaud de Lage

Que reste-t-il quand on a perdu son travail, sa femme, et que vos enfants vous abandonnent aussi, à moins que cela ne soit le contraire ? Fabrice Melquiot a écrit et mis en scène deux bêtes de scène, Philippe Torreton et Vincent Garanger, amis dans la vie, pour un duo de deux paumés magnifiques errant dans la campagne après la fermeture de leur vidéo-club. Un spectacle à savourer surtout pour la prestation des deux comédiens sur le beau plateau des Bouffes du Nord.

Vincent et Philippe

© Christophe Raynaud de Lage

Le premier, Vincent Garranger, a divorcé de son épouse et ses enfants le négligent, à moins que cela soit eux qui l’agacent par leur mode de vie et réactions de « bobos ». Toujours est-il qu’il traîne sa vieille carcasse à coups de bouteilles millésimées, avec dans la tête tous les rêves qu’il n’a pas vécus et tous les films de Wells, de Kubrick, de Godart ou de Jarmush qu’il a admirés de nombreuses fois et dont il a vendu les meilleures versions. Le second, Philippe Torreton, même âge et même gabarit, est veuf. Ses rêves et ses fantasmes, cinématographiques, vont de Chaplin à Coppola en passant par David Lynch ou Woody Allen. Mais il y a sa star féminine, sa femme, disparue beaucoup trop tôt, dont il rêve les yeux ouverts et dont le fantôme revient hanter ses espaces mentaux. Un récit avec deux hommes sans femmes, c’est comme dit l’auteur russe Anton Tchekhov « comme une machine sans vapeur ». Dans la belle scénographie de Raymond Sarti, la terre est un terreau calciné, à la noirceur métaphysique, au dessous de laquelle un météorite impressionnant suspend dangereusement sa masse opaque. Les strapontins poussiéreux d’un ancien cinéma peuplent l’espace où flotte une affiche publicitaire pour une compagnie aérienne des années 70. 

Errance initiatique

© Christophe Raynaud de Lage

La nostalgie des films que l’on pouvait acheter en cassettes vidéos, celle des rapports sociaux avant les écrans et tablettes, la puissance des plans de cinéma dans une salle obscure qui vous prennent les tripes et le coeur, autant de sensations qui peuplent les jours et les nuits des deux protagonistes et qui marquent leur désespoir, sur scène, au moment où ils ferment une dernière fois leur magasin de vidéos et où ils se demandent, comme de grands enfants abandonnés dans un désert, ce qu’ils feront dorénavant de leurs vies. Mais le texte de Fabrice Melquiot ne  joue pas seulement sur cette corde, il aborde, au fil de répliques saillantes et très écrites, cinglantes et cocasses, l’amitié, la solitude, l’appel de la nature et la poésie des illusions sans réalité. Nos deux compères partent s’installer dans le Vercors, une terre montagneuse connue pour avoir été une terre de résistance durant la Seconde Guerre Mondiale. Le bout du monde, comme on dit, un havre de paix avec des paysages inattendus. 

© Christophe Raynaud de Lage

Sauf que Philippe a une peur des araignées, que Vincent prend des douches avec de l’eau gorgée de terre rouge, et que le froid rend parfois difficile la cohabitation sereine. Souvent drôle ou ironique sur les nouveaux modes de vie des urbains idéalistes, le texte n’évite pas toujours les les clichés, références et citations nombreuses qui ralentissent le rythme et cassent le récit. Il n’en demeure pas moins que c’est un bonheur de voir sur la scène deux acteurs si puissants, incarnant des mondes peuplés de leurs rêves et de leurs cauchemars. Cela s’appelle l’incarnation théâtrale.

Hélène Kuttner

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