L’anatomie de la sensation pour Francis Bacon – McGregor – Opéra Bastille
C’est peu de dire que l’on attendait avec impatience la nouvelle création de Wayne McGregor. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, ce jeune anglais de 31 ans est l’un des plus talentueux chorégraphes actuels. Depuis la fin des années 90, il s’est imposé comme un artiste complet et touche-à-tout. Son obsession : l’étude du corps chez l’être humain, de son comportement le plus primaire jusqu’à ses plus vives pulsions sexuelles, de vie et de mort. En 2007, l’Opéra de Paris lui avait ainsi fait confiance avec la création de Genus, ballet entourant l’univers de Charles Darwin.
Aujourd’hui, c’est au tour du peintre Francis Bacon de servir d’inspiration pour sa nouvelle création L’anatomie de la sensation. Le résultat est à la hauteur des espérances, en grande partie grâce aux sept danseurs étoiles présents sur scène. Couvrir seul de gloire Wayne McGregor ne serait en effet pas de mise s’il n’était accompagné de ces talents malléables comme il s’est si bien s’en servir. Pour comprendre cette collaboration, rien de mieux d’ailleurs que de visionner une de ses répétitions comme on peut voir dans le documentaire Une pensée en mouvement de Catherine Maximoff récemment diffusé sur Arte. Les idées de Wayne McGregor proviennent en effet d’une improvisation constante qu’il laisse à ses danseurs gesticulant aux sons jazzy de sa voix. Il n’y a donc rien d’étonnant à le voir choisir pour sa nouvelle création l’œuvre de Mark-Anthony Turnage, Blood on the floor, elle-même inspirée du tableau éponyme de Francis Bacon. Créée en 1996, cette composition varie entre jazz, rock et classique par ses sons provenant d’une guitare électrique, d’une batterie, d’un saxophone et d’une clarinette basse. Quelque peu dépassée, cette musique n’en reste pas moins moderne et sonne comme une mauvaise journée d’automne sous la pluie à l’atmosphère humide remplacée ici par la sueur des danseurs dévêtus.
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L’anatomie des êtres
L’anatomie est une science qui s’oppose à celle de la cognition selon le principe que l’une s’occupe d’étudier le rapport entre les organes tandis que l’autre s’attarde sur la pensée. « L’anatomie de la sensation » serait donc un paradoxe parfait étudiant notre force de raisonnement et de mémoire sur les émotions, les gestes, voir même la morphologie. Sachant cela, la perception que l’on porte à la création de Wayne McGregor est d’autant plus passionnante qu’elle s’affirme dès le surpuissant premier mouvement (Blood on the Floor) en compagnie de Jérémie Bélingard et Matthias Heymann.
Comme Gus Van Sant dans son film Gerry, deux hommes ne faisant qu’un (ou deux amants) se battent, s’agressent, se déchirent pour au final se retrouver seuls, tout comme le personnage torturé de Marie-Agnès Gillot dans le second mouvement (Junior Addict). A première vue cette création dans son ensemble n’offre pas de contenu narratif propre. Cependant, on remarquera à travers le décor de l’architecte John Pawson qu’il pourrait bien s’agir d’un livre d’anatomie que nous parcourons. A chaque mouvement pourrait être associées un chapitre et une couleur, comme une succession de tableaux de Bacon où les corps y sont souvent montrés déformés et écorchés et ce pour mieux suggérer l’animosité de l’être humain. Wayne McGregor et ses danseurs s’en inspirent avec brio dans ce qui apparaît à la fois comme une anatomie de l’individu, du couple et du groupe, chère au chorégraphe. Les autres mouvements, parfois (trop) semblables, suggèrent plusieurs conflits intérieurs dont le septième mouvement (Cut Up) est le plus violent malgré sa source de jeunesse façon comédie musicale. Après ce ballet, on imagine bien Wayne McGregor s’inspirer un jour de Leonardo DaVinci et de son dessin L’homme de Vitruve. On le souhaite en tout cas vivement.
Edouard Brane (Twitter)
L’Anatomie de la Sensation pour Francis Bacon
Mark Anthony Turnage – Musique Blood On The Floor
Wayne McGregor – Chorégraphie
John Pawson – Décors // Moritz Junge – Costumes // Lucy Carter – Lumières
Les Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet
Ensemble Intercontemporain – Peter Rundel, direction musicale
Solistes : Peter Erskine – Batterie // Martin Robertson – Saxophone // John Parricelli – Guitare électrique // Michel Benita – Guitare basse
Opéra Bastille
Place de la Bastille
M° Bastille
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