Lampedusa Beach – Studio Théâtre de la Comédie Française
Une jeune femme nommée Shauba est dans une embarcation de fortune pleine de réfugiés, en face du détroit de Lampedusa Beach, la porte du Sud de l’Europe. Autour d’elle, tous ceux qui rêvaient d’une nouvelle vie se noient. Et tandis qu’elle sent venir son tour, à bout de forces, elle parvient un moment à se hisser à la surface, là où flottent ses lunettes de soleil qui finiront sur un espadon. C’est à ce stade ultime que la jeune femme parle alors à sa mère, narre la traversée sordide et violente, son rêve de vie en Europe puis le naufrage. Une vie, celle d’une jeune femme, bascule tragiquement dans cette mer aux accents mythologiques près des côtes du continent qui n’est plus celui de tous les espoirs, mais plutôt celui d’une effroyable dérive.
Une histoire qui est des milliers d’histoires
Le choix du metteur en scène est on ne peut plus à l’économie, centrant toute son intention dans la direction de l’actrice placée devant la scène, disposant d’un petit magnétophone et d’une paire de lunettes, rien de plus. Christian Benedetti, dans cette optique d’austérité de moyens, rehausse la force des mots et du jeu. La comédienne devient ainsi un point aveuglant qu’on ne lâche pas une seconde, tant l’intensité de son expression et la tenue verbale sont taillées à la pointe de l’émotion, tendues, nues, extrêmes et puissantes. Le soir de la première, c’est Céline Samie qui a incarné la jeune femme, le rôle étant interprété en alternance avec Jennifer Decker. Ni l’une ni l’autre ne sont africaines et cette option était souhaitée par l’auteur, établissant un décalage plus propice à saisir le développement d’une pensée, en évitant de tomber dans une expression doloriste trop envahissante. Les mouvements sont rares, mais le phrasé, la voix et les regards soumettent le spectateur à une rare tension. Toute l’horreur humaine et politique se profile par la suggestion de cette dernière confidence avant la mort, et les adresses à des puissants de ce monde tel le Président Italien se mêlent à l’intime du récit. Nouant sans lourdeur l’aspect le plus profondément humain à celui des responsabilités collectives, l’auteur, Lina Prosa, parvient à faire fléchir immanquablement quiconque, en-dehors des partis-pris sur la question.
Née en Italie, Lina Prosa dirige un théâtre à Palerme et a écrit de nombreux textes, qui donnent une place centrale aux femmes. Avec Lampedusa Beach, elle signe un texte magnifique et bouleversant. Progressivement il laisse émerger les questions de la place des étrangers, de l’accueil et des engagements humanitaires, et la poésie malgré le drame de la situation, est continue. « L’actrice n’est pas le tableau, elle est le doigt qui montre le tableau », précise le metteur en scène Christian Benedetti. Et c’est bien cela qui se passe. Car si le visage de la comédienne pénètre le public et provoque une concentration rare, c’est aussi tout le contexte qui s’imprime dans la tête, et les centaines de naufragés invisibles participent à l’émotion inévitable qui saisit et perdure.
Isabelle Bournat
Lampedusa Beach
De Lina Prosa
Mise en scène et scénographie de Christian Benedetti
Avec Céline Samie et Jennifer Decker (en alternance)
Réalisation sonore : Laurent Sellier
Jusqu’au 28 avril 2013
Du mercredi au dimanche à 18h30 ou 20h30
Tarifs : de 8 à 18 euros
Réservations par tél. 01.44.58.98.58
Durée : 1h environ
Studio-Théâtre
Carrousel du Louvre
99, rue de Rivoli
75001 Paris
M° Palais-Royal
[Photographie : Cosimo Mirco Magliocca]
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