Laetitia Mazzoleni, reine du Transversal
Jeune directrice du Théâtre Transversal, un nouveau lieu à Avignon, Laetitia Mazzoleni possède une énergie et un optimisme qui feraient taire tous les grincheux. Bien décidée à faire vivre son théâtre toute l’année en privilégiant l’accueil des compagnies dès leur résidence de création, elle revendique un théâtre en forme de laboratoire, écologique et durable. Et elle reçoit avec le sourire ! Rencontre avec une femme pour qui rien n’est impossible.
En tant que directrice d’un lieu à Avignon, comment ressentez-vous la situation à mi-festival, dans ce contexte de crise sanitaire ?
On a su très tard que le festival allait se tenir. Moi, j’ai eu l’intuition très tôt que ce festival aurait lieu. Dès le mois de janvier, j’ai participé à des réunions avec la mairie d’Avignon, la Préfecture du Vaucluse pour mettre en place un protocole sanitaire. On a très bien compris qu’il dépendait de nous de prouver que l’on était capable d’assurer un cadre sanitaire satisfaisant pour pouvoir ouvrir nos théâtres. On a donc travaillé très dur à la mise en place de ce protocole sanitaire.
Et du coté des compagnies invitées ?
Je les ai toutes informées de la situation. Certaines ont préféré repousser leur venue à 2022, mais dans l’ensemble, avec le passage des jauges à 100%, la programmation de cette année s’est fait naturellement avec une communication accrue. Finalement, on a tous joué le jeu. La crainte était que les professionnels du spectacle vivant, directeurs de salles, producteurs et tourneurs, ne viennent pas. Heureusement ils sont venus pour découvrir les créations, bien que leur agenda soit déjà rempli de créations reportées en raison du confinement. Les journalistes sont présents aussi. Restait l’interrogation face à la présence du public. Je suis allée sonder les locations d’appartements, les hôtels, qui ne se sont remplis que vers mai et juin, au moment où l’on a su que le festival aurait bien lieu. A mi festival, même si le public est moins nombreux, les rues d’Avignon et les théâtres se remplissent progressivement. Dans nos salles qui sont petites – un quarantaine de places- nous commençons à refuser du monde pour Une goutte d’eau dans un nuage (19H15) Jules (17h45) et Madame Van Gogh (21h20). Donc je suis plutôt satisfaite.
Vous êtes d’un tempérament optimiste ?
Oui ! Cela doit en déprimer certains, même quand une catastrophe arrive. L’année dernière, quand il a fallu tout annuler, j’ai appelé toutes mes compagnies pour leur dire que c’était pour le mieux, qu’il fallait tout annuler pour mieux garantir la suite. Je les rassurais, je tente toujours d’aller voir le bon côté des choses. Il y en a toujours un.
C’est le premier théâtre que vous dirigez ?
Oui. J’ai acheté ce lieu en octobre 2017. Je suis comédienne, metteur en scène et j’ai une compagnie qui existe depuis 2006. J’habite à Avignon, et tout le monde me demandait pourquoi je n’achetais pas un théâtre. Je freinais des quatre fers. Ma compagnie tournait bien, je connais beaucoup de directeurs de lieux, qui sont parfois des amis d’enfance, dans cette ville dont les théâtres sont déjà très nombreux ! Un jour, les gérants des Ateliers d’Amphoux m’ont proposé de reprendre le lieu. Avant de dire non, j’ai longuement réfléchi. J’approchais la quarantaine, mes enfants étaient scolarisés, c’était le moment.
Qu’est ce qui vous a fait changé d’avis ? On sait qu’il est facile de gagner beaucoup d’argent en multipliant les productions à Avignon, et certains sont accusés de faire du business. L’argent n’a pas l’air d’être votre moteur.
Non pas vraiment ! Je suis la seule directrice à me réjouir des bénéfices, et quand j’ai 3000 euros en caisse je me précipite pour les reverser aux compagnies pour qu’elles puissent créer. Tout l’argent généré par le festival est reversé aux compagnies pour financer les résidences durant l’hiver. Je reste metteur en scène et intermittente, donc je vis de mon métier. Je suis également très active dans les milieux scolaires où j’interviens beaucoup, notamment pour l’option théâtre du Lycée Mistral d’Avignon. J’ai une activité à la fois de création et pédagogique, le Transversal est mon temps libre. Alors bien sûr c’est un faux bénévolat, car mon théâtre est aussi mon outil de travail. Là où j’allais démarcher pour pouvoir créer, je reste sur place et c’est très confortable de pouvoir maîtriser son planning.
Comment on fait pour acheter un théâtre ? On emprunte à vie ?
Non ! J’ai pu bénéficier d’un prix d’achat du fond de commerce très honorable, j’ai rajouté quelques économies et j’ai obtenu un crédit.
Mais le théâtre a été rénové ?
Oui mais cette rénovation s’est faite par étapes. J’ai un collaborateur fabuleux, Sébastien Piron, qui sait tout faire. C’est lui qui a tout réalisé et je l’en remercie car sans lui rien n’existerait. De plus, il crée toutes les lumières de mes spectacles, ainsi que les musiques. C’est mon alter ego indispensable. Les travaux ont été réalisés durant le second confinement, en novembre 2020. Il a commencé à tout rénover, à la condition que le théâtre soit éco-responsable. Cela m’allait très bien. Cette exigence est poussée à l’extrême. On a changé les poubelles avec du tri, modifié l’éclairage avec des ampoules LED, tous les travaux ont été réalisés à l’eau de pluie ! On a utilisé pas mal de matériaux recyclés. On est en train de modifier tous les enduits en utilisant de la chaux, et la peinture est un mélange d’ocres naturels qui proviennent de Roussillon pour éviter les émanations toxiques. On ne s’en rend pas compte, mais nos maisons sont beaucoup plus polluées que l’air extérieur. Notre hébergeur WEB a été changé, de même que notre fournisseur d’électricité qui est ENERCOP, une coopérative 100% verte et locale, dont on est devenu sociétaire. Nous continuons de réfléchir également sur une communication plus écologique, en réduisant les mails hyper énergivores et en privilégiant un type de papier recyclé selon les actions. Car nos pratiques dans les salles de spectacles ont un effet dévastateur pour la planète : climatisation, projecteurs allumés toute la journée, kilos de papier jeté, etc.
Qu’est ce que votre théâtre apporte de nouveau à Avignon ?
Je souhaite que le Transversal soit un lieu totalement dédié aux artistes. Pour l’avoir éprouvé, je sais à quel point il est difficile, pour les artistes, de bénéficier de lieux de résidences pour élaborer leur projet. Je propose aux artistes d’envisager leurs besoins et je m’organise pour pouvoir y répondre. Si une compagnie me demande un mois de répétition, je leur donne. En outre, je propose un accompagnement aux jeunes compagnies, aux jeunes artistes issus des conservatoires de Région. J’aime à dire que le Transversal est un laboratoire. Pas besoin, pour moi, d’avoir un projet ficelé pour venir travailler. On peut essayer, prendre le temps de voir émerger la proposition. Je fonctionne aussi comme un passeur d’informations. J’ai la chance d’avoir un lien privilégié avec les institutions locales à qui je recommande certains artistes, pour lesquels j’organise des rendez-vous.
Vous êtes donc très soutenue par les institutions locales ?
Au vu de notre travail effectué depuis trois ans, j’ai obtenu pour 2022 une convention de la Mairie d’Avignon, j’ai une mission de soutien à la création régionale. J’ai eu la très belle surprise d’obtenir de la DRAC un nouveau label, la Résidence Tremplin, qui m’a permis d’aider une jeune compagnie de marionnettes en 2020. C’est une responsabilité importante mais formidable.
Proposez-vous cette année une création personnelle ?
Non. Je devais créer Oh les beaux jours de Beckett avec Dominique Frot, qui a été repoussée en avril 2022.
Avec cette proposition de théâtre-laboratoire dédié aux artistes, vous vous rendez compte que c’est un projet un peu utopique et que vous allez être débordée par les propositions ?
Pourquoi utopique ? Au contraire, je pense justement que c’est ainsi que les créations devraient fonctionner. Avignon, c’est pas que du pognon. Le Festival Off est un lieu de création, depuis ses origines. Son fondateur, André Benedetto, a fondé le Théâtre des Carmes en opposition en marge du Festival officiel, avec une création contemporaine Statues. Puis Gérard Gélas l’a suivi, ainsi que d’autres camarades. Je reste persuadée que nous avons besoin de revenir à cette essence-là. Je suis terrifiée quand des artistes me disent “On peut se voir à Avignon ?” J’y habite à l’année, donc c’est mon lieu de travail. Et pas seulement durant le Festival en juillet ! Je lutte contre cette inexactitude : Avignon n’est pas seulement un festival, c’est une ville avec une bonne dizaine de théâtres permanents, des manifestations à l’année, des présentations d’événements. Nous sommes une ville de culture toute l’année, et pas seulement une pompe à fric qui utilise les compagnies pour faire du pognon durant un mois. Mais nous sommes nombreux, à Avignon, à le penser. Sébastien Benedetto, Alexandra Timar, Julien Gélas, les enfants des fondateurs du Festival Off sont dans la poursuite de cette philosophie. J’ai confiance en eux.
La relève du Festival Off est donc assurée ?
Il faut être vigilant. Gardons l’héritage des fondateurs pour impulser de la nouveauté, de l’effervescence, de la diversité. Mais vous savez, je considère les artistes que j’accueille comme mes enfants. J’observe le public qui sort des spectacles et je vibre, je pleure avec eux. Je suis fière des spectacles qui passent au Transversal. Je ne les crée pas, mais ce sont un peu mes bébés. Ils sont aussi importants que mes propres spectacles, que je néglige d’ailleurs car je n’en fais pas la promotion. Je fais en sorte que les différents artistes et compagnies se rencontrent, se connaissent. On travaille ensemble, et c’est ce qui me plaît.
Pensez-vous, comme certains, qu’il y a trop de théâtres à Avignon ?
L’an dernier, Serge Barbuscia, directeur du Théâtre du Balcon, a répondu à cette question lors d’une interview sur France Bleu : il n’y pas trop de théâtres, il y a trop de lieux. C’est à dire qu’il n’y a pas beaucoup de “vrais” théâtres. Il y a un énorme travail à faire sur les conditions d’accueil des compagnies et du public. Au Transversal, la première chose que j’ai faite a été d’abattre un mur pour agrandir le plateau. On me disait : rajoute des rangs de fauteuils, et j’ai dit non. Je me dois d’accueillir les compagnies de manière optimale, comme je dois accueillir le public sur de bons sièges, dans de bonnes conditions. Et on accueille avec le sourire, surtout cette année !
Vous avez des liens avec le Festival In ?
À ma grande surprise, j’ai été nommée membre du Conseil d’Administration du Festival In, en tant qu’artiste avignonnaise. Les liens se développent de plus en plus, et il ne faut pas oublier que le directeur actuel, Olivier Py, a crée l’un de ses premiers spectacles, Miss Knife, dans le Off. La directrice déléguée qui vient d’être nommée auprès du futur directeur, Tiago Rodrigues, vient elle aussi du festival Off. J’ai un immense espoir pour les trois prochaine années car on commence à voir des femmes, des jeunes, et des jeunes femmes qui ont envie de travailler ensemble. Cela donne de l’espoir pour construire un monde meilleur.
Propos recueillis par Hélène Kuttner
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