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Laetitia Casta, royale, revient en Clara Haskil au Théâtre du Rond-Point

©Edouard-Elias

Destin unique pour une virtuose du piano, juive roumaine dont la vie a été pétrie par le malheur mais la reconnaissance de son génie, Clara Haskil revit aujourd’hui sous les traits de Laetitia Casta, royale. La comédienne revient dans son premier seul en scène écrit par Serge Kribus. La pianiste Isil Bengi déploie aussi son talent dans des concertos mémorables pour ce spectacle qui rend justice à une artiste trop tôt disparue.

“Cette enfant est un prodige”

Ainsi parlait le pianiste et pédagogue Anton Door en 1902, alors qu’on lui présentait une petite fille de 7 ans. Sans aucun enseignement musical, entourée de ses sœurs et d’une mère musicienne, Clara Haskil débarque à Vienne avec un oncle qui fait office de manager inflexible et fait immédiatement grande impression face à des spécialistes. Elle joue sans partition, juste après avoir entendu une sonate de Beethoven, à l’oreille et dans toutes les tonalités. À Paris, elle fera l’expérience du maître tout puissant Alfred Cortot avant d’obtenir un premier Prix de Conservatoire. Mais une méchante scoliose, à laquelle s’ajoutent une angoisse non maîtrisée de la scène et une exigence sans faille vis-à-vis d’elle-même, qui ne se permettait aucune satisfaction, l’empêchent de signer des contrats comme elle le souhaite. La Première Guerre mondiale où elle subit un traitement de choc pour sa colonne vertébrale, l’invasion nazie qui l’oblige à rester en Suisse et sa santé fragile retardent une reconnaissance publique qui ne sera totale qu’après la Seconde Guerre mondiale où elle jouera dans les plus prestigieuses institutions, de New York à Berlin.

Laetitia Casta vibrante

© Mark Pillai

Longue, sculpturale, superbe, la top-modèle et actrice Laetitia Casta se lance pour la première fois dans un seul en scène sur le très beau texte de Serge Kribus, qui s’est inspiré de la biographie que Jérôme Spyket avait consacré à la prodige du piano. C’est un véritable choc tant l’investissement charnel, la puissance émotionnelle, la rencontre intime entre les deux femmes, Laetitia et Clara, parviennent à nous rendre le personnage vivant, vibrant de force et d’énergie. La comédienne porte le spectacle durant une heure et demi, avec son double au piano Isil Bengi, magnifique artiste belge-turque, qui joue tour à tour Schumann, Mozart, Schubert ou Chopin, Debussy, avec une délicatesse qui est celle du jeu de Laetitia Casta. Son physique est pourtant à l’opposé de Clara Haskil, malingre et bossue, qui souffrait à chaque passage sur scène. Mais ce que nous offre l’actrice qui l’interprète, en même temps que sa mère, sa sœur, son oncle tyrannique, ses professeurs, en modulant son corps et sa voix, est un voyage à l’intérieur de sa vie, par delà les meurtrissures familiales, la pauvreté et la maladie, la guerre et ses horreurs. C’est en Suisse, à Vevey, qu’elle a finalement trouvé refuge aux cotés de Charlie Chaplin son grand ami. La pureté de son toucher, sa géniale musicalité et sa sensibilité magique, son exigence et sa ténacité, son goût de l’amitié, la comédienne nous les livre avec le coeur et le corps, dans la mise en scène au cordeau de Safy Nebbou. Sans une seule fausse note.

Hélène Kuttner

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