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Laëtita Berninet : “Je m’écoutais enfin, après 15 ans de censure. Ça a été libérateur”

Elise Marchal 15 juin 2020
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© Katia Maeder

Épanouie et fière d’être finalement à sa place, Laëtitia Berninet, comédienne et étudiante, nous partage sa passion pour le théâtre mais aussi les nombreuses peurs et incertitudes qui pèsent sur les passionnés.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Laëtitia, j’ai 35 ans, je suis en formation en ce moment, dans une école d’acteurs sur Bordeaux qui s’appelle l’école des 3M. Je me suis réorientée : j’ai quitté mon boulot de graphiste il y a 1 an et demi, pour me lancer et devenir comédienne professionnelle.

Comment expliquez-vous ce revirement de situation ?

J’avais déjà envisagé d’en faire ma carrière, dès le bac en poche, mais mes parents m’en ont dissuadée, préférant que je fasse “de vraies études”, pour trouver “un vrai travail”… Alors, je me suis orientée vers autre chose. Je me suis surtout dit : “qu-est-ce qui peut bien me plaire ?”. Le milieu de la publicité m’attirait, alors je me suis tournée vers un BTS communication visuelle, puis j’ai trouvé un poste d’infographiste. Et plus les années passaient, plus je savais que ce n’était pas ma place. J’essayais de me raisonner en me disant : “tu as un CDI, un confort de vie, etc.”. Cette situation, cette stabilité ça me rassurait quelque part, mais une autre part de moi-même était frustrée. Le déclic, c’est l’une de mes collègues, qui s’est lancée à son compte, pour créer sa propre marque de tisane bio. Elle m’a inspirée, je pense que c’est un peu grâce à elle si j’ai eu envie de m’écouter.

D’où vous vient cette passion pour le théâtre ?

J’ai d’abord voulu devenir actrice avant comédienne, je pense que ça vient des films que je regardais à la télé ou au cinéma, ça me faisait rêver.
Tous les ans, je montais des spectacles avec les autres enfants pour les fêtes de quartiers et j’adorais ça. Dès le collège, j’ai commencé le théâtre puis j’ai continué avec un super groupe, c’était un peu mes meilleures années.
Je ne sais pas comment l’expliquer mais ça me faisait vibrer. Ce besoin de devenir comédienne professionnelle était devenu viscéral. Ça ne me suffisait plus de faire du théâtre amateur à côté de mon boulot, c’était devenu un véritable besoin d’y consacrer tout mon temps.
C’est pour ça que quand je suis partie de mon job, je n’ai pas eu de doutes ni de regrets par la suite, parce que je savais que c’était ce qu’il fallait que je fasse. Je m’écoutais enfin, après 15 ans de censure. Ça a été libérateur.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le spectacle vivant ?

Ce qui me plaît le plus, c’est le contact avec le public, le fait de sentir son énergie . L’interactivité qu’on a aussi avec son partenaire de jeu, ce n’est pas la même avec son partenaire de cinéma. Dans la pièce de théâtre, c’est le one shot, on se lance sans filets et c’est ça qui est génial. Il y a de l’adrénaline. Au cinéma, ce n’est pas pareil, parce que tu refais les choses plusieurs fois, du coup il y a moins de spontanéité.
Ce qui me plaît c’est vraiment la capacité du théâtre à procurer des émotions, à questionner et à offrir un moment d’évasion.

Quels sont vos projets actuellement ?

Je suis comédienne dans une pièce de l’Horrible Cie : Sac de Filles – grand déballage public. J’ai rencontré Myriam Georges Parisot, comédienne au sein de la pièce mais aussi directrice de la compagnie, lors d’une réunion d’informations sur le statut d’intermittent. J’ai une autre troupe aussi qui s’appelle le Kokomo Project. À partir de nos exercices et nos improvisations, on a décidé d’écrire une pièce, une satire de la télévision. C’est plutôt du théâtre absurde. J’aime bien ce genre de théâtre, qui déstabilise, et qui sort le spectateur de sa zone de confort.

Selon vous, qu’est-ce que représente l’art dans la société ? Quelle est sa place ou son rôle ?

C’est une forme d’expression, une forme de liberté qui permet d’exprimer ce qu’on ne peut pas dire en temps normal. Cela permet de s’évader du quotidien et de s’interroger. D’une certaine manière sur scène, on peut être tout ce que l’on veut, c’est même plus facile de l’être bizarrement, de l’assumer sur scène que dans la vie. Ça peut être une extension de soi. Justement à mon école, j’ai travaillé la colère parce qu’au début c’était très difficile pour moi de la faire sortir et maintenant j’y arrive et c’est libérateur.

Comment vous sentez-vous en tant que comédienne dans la société ?

C’est compliqué de se sentir légitime, auprès des gens pour qui ce n’est pas “un vrai boulot”, du fait de ne pas partir tous les matins travailler par exemple. Pour certains, quand tu restes à la maison, même si tu travailles pour toi, pour créer, et bien ça parait comme “tranquillou”… Alors qu’il faut parfois fournir deux fois plus de travail, mais bien souvent, il n’est pas visible…

Pensez-vous à là où vous serez dans 10 ans ou vivez-vous plutôt au jour le jour ?

Je pense que pour l’instant je vis au jour le jour, je ne me projette pas vraiment. C’est tellement aléatoire, je me laisse porter par les projets, par les rencontres. Je sais que je suis à ma place, je suis heureuse. Après j’ai ma petite idée : mon idéal d’ici une dizaine d’années, ce serait de posséder mon propre théâtre, dans lequel je pourrais me produire mais aussi laisser la scène à de jeunes talents. Un espace convivial, pourquoi pas avec un coin bar.

D.R

Après avoir vous-même pris du temps à vous tourner vers le théâtre, avez-vous un message à faire passer pour tous ceux qui n’auraient pas le courage de se lancer sur scène ?

Oui il faut oser, il faut s’écouter et suivre son instinct. Dans mon cas, j’avais peur du côté financier ; quitter un CDI pour l’incertitude, l’intermittence, le chômage. J’avais peur vis-à-vis de l’avis de mes parents et pourtant je devrais pouvoir ne pas avoir peur de cette insécurité. Je suis bien plus heureuse aujourd’hui et c’est ça qui compte.

Vous êtes-vous déjà dit pendant une interview “tiens c’est dommage qu’on ne m’ait pas posé cette question” ou “j’aurais bien aimé parler de ça” ?

En effet, par rapport à la définition du bonheur. Est-ce qu’il y a un schéma ou un modèle à suivre ? Je pense que selon le modèle qu’on a en tête, on se crée des peurs face à certains rêves, comme dans mon cas, celui de devenir comédienne. Et pourtant je ne reviendrai jamais à mon ancien job, je sais que je suis à ma place là… Tant pis si on ne rentre pas des des cases, au contraire ! Il faut dessiner son propre schéma, en apprenant à s’écouter.

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Propos recueillis par Elise Marchal

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