Labomatic Théâtres – la rose des vents
D’un spectacle de slam « en chantier » à des pièces abouties, la programmation fait la part belle à la recherche, aux coulisses de la création – avec des résultats plus ou moins heureux…
Thomas Suel est un enfant du pays : il a grandi dans le Pas-de-Calais. Avec ses potes Jérémie Ternoy et Christian Pruvost, ils ont créé [dukone], un poème concert qui a fait du bruit. Le trio prépare une nouvelle création pour 2012, et c’est ce travail qu’ils présentent au public de la rose des vents lors de « Labomatic Théâtres ». S’il est difficile, dans un premier abord, de rentrer dans le spectacle, le public est vite happé par la force des mots, dits par Thomas Suel, alors que ses deux complices l’accompagnent, l’un à la trompette, l’autre au fender rhodes. Lancinant, le mariage de la voix et de la musique fait resurgir la poésied’association de mots qui pourraient paraître incongrues, mais s’imposent avec évidence alors que Thomas Suel les crache ou les susurre dans le micro. Au fur et à mesure que s’installe cette poésie, la voix devient hypnotisante, si bien que l’on quitte peu à peu toute préoccupation de sens pour ressentir la musique plus que tenter de la comprendre. A suivre en 2012, impérativement !
La suite des réjouissances est consacrée au théâtre. Pour commencer, une pièce tirée d’un roman de Robert Walser, L‘Institut Benjamenta, dans une mise en scène de Nicolas Luçon. L’intrigue rappelle Wedekind : un institut pour jeunes garçons des plus stricts, jusqu’à ce que la machine se grippe avec l’arrivée de Jacob, nouvelle recrue qui met à mal les codes et les règlements. Si le thème, qui jette un regard intéressant sur les conflits entre générations, pousse à la réflexion, la mise en scène laisse de marbre. Luçon fait le choix de la froideur. Sur un plateau surélevé couvert de terre, entouré de miroirs qui leur renvoient leur image, créant ainsi de magnifiques effets visuels. Tout est extrêmement bien maîtrisé, de très belle facture – mais l’ensemble manque de vie, de souffle, si bien qu’une véritable coupure émotionnelle s’installe entre un plateau où l’on sent que quelque chose de grave se passe, mais sans vraiment le vivre.
Le dernier choix de La rose des vents, pour ce festival, est celui d’une mise en scène d’Aude Denis, sur un texte, bouleversant, d’Antoine Lemaire : Mes amours au loin. Une femme, un homme, vêtus de rouge et de blanc. Ils entrent sur scène, main dans la main, heureux. Jusqu’à ce que la machine se grippe. Comme un personnage de Beckett, elle attend, elle ressasse, elle revit des moments qui lui ont échappé. Il est parti. Elle est seule. Il lui manque, et au fur et à mesure que son souvenir s’éloigne, elle éprouve de plus en plus de difficulté à marcher, à parler. Jusqu’à l’immobilisme absolu, jusqu’au silence, alors qu’un clip de Love Story repasse en boucle, lui aussi coincé dans un retour sans fin. Et lui se meut avec autant d’aise qu’elle a de difficultés. Cette histoire-là est poignante, tragique, presque : et pourtant, une bonne dose d’humour, un soupçon d’auto-dérision et une grande complicité avec le public, le tout porté par Nadia Ghadanfar et Cédric Duhem, duo aussi excellent qu’attachant, font de cette courte pièce un pur moment d’émotion.
Audrey Chaix
enjoy the theatre
Labomatic Théâtres
à La rose des vents, scène nationale de Villeneuve d’Ascq
et à la Maison de la Culture de Tournai
du 14 mars au 8 avril 2011
Thomas Suel, Jérémie Ternoy, Christian Pruvost : Nouveau Chantier
Slam
L’Institut Benjamenta
Un projet de Ad Hominem asbl
mise en scène de Nicolas Luçon
avec Stéphane Arcas, Sébastien Fayard, Julien Jaillot, Denis Laujol, Nathalie Mellinger, Benoît Piret, Lotfi Yahya Jedidi
Mes amours au loin
texte : Antoine Lemaire
mise en scène : Aude Denis
avec Nadia Ghadanfar et Cédric Duhem
La rose des vents
Scène nationale de Villeneuve d’Ascq
Boulevard Van Gogh
59563 Villeneuve d’Ascq
www.larosedesvents-scenenationale.com
[Crédits photos : Mes amours au loin © LNOR5 // Thomas Suel © Jérôme Pouille // L’Institut Benjamenta © Nicolas Luçon]
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