“La Seconde Surprise de l’amour” : à savourer
Dans un décor à l’épure élégante, le metteur en scène Alain Françon présente à l’Odéon l’un des joyaux de Marivaux avec un six comédiens remarquables. Plaisir du texte, des oreilles et des yeux, auquel s’ajoute celui du coeur. Un régal.
Deux rivaux faussement amis
Il n’y a pas d’auteur plus prolixe à dessiner les méandres de l’amour et des sentiments, orgueil, jalousie, envie, dégoût, que Marivaux. Chez cet auteur du 18° siècle né en 1688, le classicisme de la langue, la perfection lexicale, le rythme de la phrase se mettent au service des méandres du coeur. Le langage est donc chez Marivaux, pour les maîtres comme pour les valets, une arme à double tranchant qui, quand elle atteint son but, brûle, détruit, séduit ou trompe. Le double sens des mots, les malentendus, présupposés ou glissements de sens peuvent entraîner beaucoup de colère et d’ironie que tous, maîtres comme valets manient à la perfection. Alain Françon, avec la maturité et la liberté d’un metteur en scène qui n’a plus rien à prouver, dirige ses six acteurs à la perfection pour nous conter une histoire d’amitié amoureuse ou d’amour amical dont les protagonistes, comme les enfants devant une lanterne magique, vont découvrir la réalité.
Une jeune veuve consolable
Les veuves sont souvent moquées, surtout quand elles sont jeunes comme c’était souvent le cas dans les époques révolues où on mariait les jeunes filles de bonne famille à des époux plus âgés. La Fontaine et Molière ont allègrement évoqué leur cas en les taquinant avec causticité. La Marquise dans cette pièce est jeune et veuve depuis six mois, sans qu’elle s’en remette. Lisette, sa servante et confidente, se moque librement de ses larmes de crocodile, de ses cheveux en bataille et de sa mine de papier mâché. La vie est là, vibrante, joyeuse dans ce superbe jardin en fleurs, et il n’est pas nécessaire de jouer les pleureuses pour attendrir les autres. Face à la maison de la Marquise, celle du Chevalier lui tend les bras, lui qui a perdu l’espoir d’épouser la femme de sa vie, son Angélique. Il débarque donc à l’initiative de Lubin son valet qui lorgne sur Lisette. C’est donc par les valets et la subtile manigance de Lisette, grande ordonnatrice de toute l’architecture de cette comédie, que va s’emmancher l’intrigue où se mêle aussi le destin d’un Comte farouchement décidé à ravir le coeur de la jeune veuve.
Comédiens subtils
C’est Georgia Scalliet qui interprète la Marquise avec une vérité très convaincante et une belle franchise. Pas de simagrées ni de pose chez cette comédienne qui s’offre entièrement et parvient à jouer avec une gamme de sentiments que ne renierait pas l’auteur. Elle pleure, s’étonne quand sa servante la récrimine, boude quand le Chevalier dit un mot de travers, attaque avec ironie quand son amour propre, qu’elle a très grand, est blessé. Lisette, qu’incarne l’éblouissante Suzanne de Baecque, virevolte de piquant et de ruse. L’actrice en fait des tonnes, mais qu’elle est drôle et intelligente et comme, grâce à son jeu et à ses répliques, on comprend que ce rôle de domestique est en fait le moteur de l’action. Une sorte de « surmoi » psychanalytique qui permet à la Marquise de sortir de sa léthargie. L’argent, bien sûr, joue aussi son rôle de moteur dans la manigance de Lisette et de Lubin qui veulent continuer à vivre chez des maîtres nantis.
Chevalier errant
Du coté des hommes, Pierre-François Garrel campe un Chevalier dépité, fragile et en mille morceaux, peu enclin à accueillir une nouvelle aventure. En imperméable et la mine fatiguée, le comédien parvient superbement à traverser tous les états d’une amoureux éconduit et d’un ami amoureux. Finesse de jeu, sincérité et respect du texte, ce sont les qualités qui s’appliquent de même à Rodolphe Congé dans le rôle d’Hortensius le philosophe malheureux, à Thomas Blanchard-Lubin et à Alexandre Ruby qui joue le Comte. Tous sont épatants de fraîcheur et de justesse dans cette soirée délicieuse qui permet de savourer un texte brillant.
Hélène Kuttner
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