La Révolte, le saisissant cri d’une femme
Au Poche-Montparnasse, Charles Tordjman met en scène ce texte superbe de Villiers de L’Isle-Adam, un auteur du XIXe siècle qui n’a pas pris une ride. Un corps à corps violent entre mari et femme, vertigineux et cruel, interprété par Julie-Marie Parmentier et Olivier Cruveiller.
Un couple sans histoire
En 1870, à Paris, une jeune femme, Élisabeth, décide de tout quitter pour se libérer de l’emprise du mariage et des affaires de famille auxquelles la contraint un mari banquier, Félix. Travailleuse de l’ombre, dédiée à la précision des comptes de gestion immobilière, félicitée pour son travail de fourmi qui ne s’échappe jamais dans le monde, Élisabeth s’abîme dans un bureau de comptabilité en assurant l’éducation de sa petite fille. Félix, plus âgé, s’assoit confortablement sur sa tranquillité domestique et se satisfait, quoiqu’un peu surpris, d’une épouse soumise qui travaille à l’enrichissement du couple bourgeois.
La déchirure
Mais voilà que la jeune femme révèle la souffrance de sa condition à son époux, l’étroitesse de son travail quotidien, l’absence de ses distractions et le manque total de compassion et de considération de son époux à son égard. La pièce en un acte d’Auguste Villiers de L’Isle-Adam est d’une précision diabolique et d’une modernité terrible. Avec des mots, des phrases ciselées avec un scalpel, sans ornement mais dans une langue à l’élégance folle, l’auteur de L’Ève future et des Contes cruels dissèque le couple dans ses contraintes sociales et politiques, en montrant les faux-semblants d’une convention qui, comme chez Strindberg, vole en éclats dès la seconde moitié du XIXe siècle.
Une interprétation magnétique
Dans une scénographie glacée de Charles Tordjman, un cadre noir qui isole la jeune femme de son mari, resté sur une chaise à l’extérieur du cadre, devant un mur gris, les deux comédiens sont comme chien et chat qui s’épient. Julie-Marie Parmentier, visage de porcelaine et regard perçant, le corps enserré dans sa robe de satin noir, est tout en retenue et en colère secrète. Elle semble avoir mûri cette histoire depuis des mois, peut-être des années, accumulant rancœurs et ressentiments. Bloc d’acier, elle foudroie Olivier Cruveiller (Félix) qui, lui, adopte un jeu presque détaché. Ce contraste peut paraître étrange, mais c’est pour mieux souligner l’incompréhension entre ces deux êtres qui se combattent pour leur vie.
Hélène Kuttner
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