La Puce à l’oreille et Palace : du théâtre explosif
A la Comédie Française, la metteure en scène suisse Lilo Baur transpose La Puce à l’oreille de Feydeau dans un chalet suisse tandis que Jean-Michel Ribes remonte Palace, la série culte de Canal Plus, au Théâtre de Paris avec vingt acteurs danseurs. Deux spectacles qui mettent le théâtre en fête, portés par des acteurs acrobatiques et enfiévrés, dans des décors somptueux. Un régal !
La Puce à l’oreille à la Comédie Française
On l’attendait, cette pièce insensée que Feydeau composa en 1907, mise en scène par l’une des metteurs en scène les plus inventifs du moment, Lilo Baur qui signe ici son cinquième spectacle à la Comédie Française. Et il faut avouer que nous sommes conquis, et le public avec, devant la liberté et l’ivresse de sa mise en scène chorégraphiée comme un ballet. L’éblouissement vient tout d’abord du somptueux décor tout en bois, un immense chalet suisse troué par une baie vitrée derrière laquelle déboule une nuées de skieurs en fuseau et bonnet. Nous sommes dans les années 1960, le coucou sonne tous les quarts d’heure et le whisky est servi avec un jukebox, alors qu’ Anna Cervinka, ravissante Raymonde Chandebise qui se croit trompée, appelle à la rescousse sa vieille amie Lucienne, jouée par Pauline Clément, pour tendre un piège à son mari.
Feydeau s’amuse à peindre les deux jeunes femmes et à multiplier les quiproquos face à un mari maladroit et un peu bêta, campé par un Serge Bagdassarian délirant de drôlerie. Tailleurs et talons aiguilles pour les actrices aux tailles de guêpe, qui semblent jouer en choeur un duo de gamines préparant un mauvais coup, pendant que le fils Chantebise, incarné par Jean Chevalier, affublé d’un défaut de prononciation, fait rire tout le monde. Quand survient le mari de Lucienne, un Espagnol furieusement jaloux, auquel Jérémy Lopez prête un talent épatant, et que tout ce petit monde, avec l’amant de Raymonde (Sébastien Poudéroux) et le médecin de famille (Alexandre Pavlov) atterrissent dans un hôtel de passe de luxe, le Minet Galant, tenu par Thierry Hancisse et Cécile Brune, avec sa chambre pivotante pour délits d’adultère, la pièce atteint son paroxysme. Les comédiens, survoltés et au sommet de leur art, sont ici dirigés de main de maître et sur un tempo d’enfer, tout en conservant une savoureuse liberté de jeu qui fait la sève du spectacle. Un mélange de Jacques Tati et de Diamants sur canapé de Blake Edwards, qui propulse le couple vers la folie. Une réussite totale.
Palace au Théâtre de Paris
Les tout jeunes ne connaissent certainement pas, mais les quinquagénaires se souviennent sûrement. Dans les années 80, Canal Plus et son directeur Pierre Lescure étaient à la pointe de la liberté et de l’humour en proposant l’une des séries les plus populaires de la télévision française, Palace. Une usine à rêve, un repaire de gens riches dégoulinant d’argent liquide, une usine à clichés squattée par des pom-pom girls et des grooms asservis à des Castafiore en peignoir, Palace a remporté tous les succès de l’audimat. Concoctée par Jean-Michel RIbes et Jean-Marie Gourio, ancien d’Hara Kiri et de Charlie Hebdo, tous deux compères d’écriture de Merci Bernard et de Brèves de comptoir, qui y invitent des acteurs comme Jean Carmet, Valérie Lemercier, Jacqueline Maillan, François Morel ou Christian Clavier, la série reprend aujourd’hui des couleurs avec une vingtaine d’acteurs et une dizaine de danseurs lancés dans un spectacle total, aux chorégraphies réglées à la perfection. Le décor est reproduit à l’identique, avec son impressionnant escalier en faux marbre, ses coursives et son guichet luxueux dessinés par Patrick Dutertre qui a façonné également des costumes superbes avec Juliette Chanaud pour chacun des acteurs dans une dentelle sophistiquée de lumières créées par Laurent Béal.
Un savoir faire éblouissant complété par le travail chorégraphique de Stéphane Jarny qui a réglé au cordeau les enchaînements dansés. Philippe Magnan est royal en académicien libidineux, Karina Marimon assume avec panache le rôle de la cliente râleuse, Anne-Elodie Sorlin rivalise d’énergie et de talent en multipliant les personnages, tout comme Eric Verdin, Alexie Ribes ou Joséphine de Meaux qui joue Lady Palace. Si certains sketches ont pris quelques rides, la plupart ont été réécrits et cette parade de clients trop riches et bien portants pour penser à la misère de la planète ou aux migrants échoués, qui se vautrent dans la bêtise et les mauvais jeux de mots, en reconstituant la jungle ou la faune marine dans leurs baignoires, y trouvent aussi du plastique échoué par mégarde, flottant dans une eau trop chaude et trop polluée. C’est vif, enlevé, et on rit beaucoup, d’un rire franc ou grinçant. Bravo à cette énergie de troupe et à ces changements de rôles virevoltants, pour cette soirée tonique et pour l’aboutissement esthétique de cette ode au langage destinée à tous les publics.
Hélène Kuttner
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