La preuve en 3 spectacles, Romeo Castellucci
La preuve en 3 spectacles, Romeo Castellucci |
Grand invité du Festival d’Automne, l’artiste italien Romeo Castellucci, homme de théâtre tant metteur en scène que plasticien et scénographe, a présenté trois œuvres : Ödipus der Tyrann au Théâtre de la Ville, Le Metope del Partenone à La Villette et Orestie (une comédie organique ?) à l’Odéon, cette dernière ayant été créée il y a vingt ans. C’est l’occasion d’ausculter le chaos castelluccien tel un voyage inquiétant et sublime. Orestie (une comédie organique ?) est « un vieux spectacle » de Castellucci qui dit « ne pas le refaire, mais l’avoir trouvé par terre et le ramasser tel un objet nouveau, fabriqué et jeté par un inconnu. » Créé d’après Eschyle, ce spectacle entame un dialogue entre l’artiste italien et la tragédie attique, que l’on a pu suivre depuis à travers les multiples créations au fil de ces dernières décennies. Le texte de départ est amplement trituré et modifié, n’apparaissant qu’en de brèves incursions recouvertes de sons et d’images. Celles-ci balaient à la fois des ambiances de cirque, des tableaux religieux et militaires, des fresques romaines, des plans à la Man Ray et des peintures de Bacon. Autour d’une Clytemnestre énorme et difforme, étalée en sa nudité, la tragédie enchaine violence sur violence, monstruosité sur électrochoc, et l’on voit passer des navires de guerre tout autant que des lapins en terre cuite, des sadomasochistes ainsi que des chimpanzés, dans un désordre pensé où se côtoient mythe millénaire et technologie avancée. Romeo Castellucci a fait le choix de ne rien retoucher à son Orestie créé en 1995 et l’on comprend aisément le trouble qu’il causa à l’époque. Théâtre dit « barbare » par certains, il contient les forces iconoclastes et le sens de la déconstruction que depuis Castellucci a développé. Le choc est toujours là, et même si on se perd un peu dans cette surabondance de sang où se faufile la bouffonnerie, on assiste à un geste doublement beau de Romeo Castellucci car il est assez rare qu’un scénographe offre sa création vingt ans plus tard sans la retravailler malgré des aspects forcément balbutiants. A travers ce choix, souci de vérité de la démarche de Castellucci, il est troublant de mesurer à quel point la piste qu’il a ouverte a été creusée, élargie, fortifiée, avec des bases de départ au service d’une esthétique radicale sans cesse approfondie et ouvreuse d’interrogations nouvelles. Ces trois spectacles de Castellucci donnent à percevoir combien il prend le chaos à bras-le-corps pour le brasser et le distordre, créant une intensité violente occupée par l’essence du tragique. Mais à cette source d’inspiration s’ajoute toujours une énigme, « une devinette » comme il est dit dans Le Metope. On ne sort jamais d’un spectacle de Castellucci autrement qu’avec des questions car cet artiste ne défend pas une thèse ni ne soutient un engagement ; Romeo Castellucci a toujours revendiqué une position de questionneur, ouvrant sur des champs larges existentiels et dramatiques sans prétendre donner une réponse ni même une piste de réponse. Il nous ébranle par de gigantesques sensations où la mort se fait scandaleusement omni-présente tout en faisant surgir un signe ou un sarcasme plein de vie, que ce soit un cri de bébé surgi d’une poubelle comme on l’avait vu l’année dernière dans Go Down Moses ou par trois étranges tas qui pètent et gesticulent comme l’a vu récemment à la fin d’Ödipus. Les trois spectacles présentés en ce Festival resteront un acmé dans le processus créateur de Roméo Castellucci, dont la puissance de la vision, même si on comprend qu’elle puisse ouvrir débat quant à sa forme et sa fonction, confirme la place primordiale de cet artiste, créateur majeur de la scène européenne. Emilie Darlier [Crédit photo : ©DR – Peter Schnetz – Luca del Pia] |
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