La Pierre – Théâtre de la Colline
Un homme, ce fameux grand-père, qui ne fut peut-être pas aussi héroïque que la légende veut bien le laisser penser. L’ancienne propriétaire de la maison, une femme juive qui a dû fuire l’Allemagne nazie pour l’Amérique. Une excentrique qui, petite fille, dans les années 1970, vécut elle aussi entre ses murs qui forment l’espace central de la pièce. Des destins entrelacés autour de la reconstruction du passé, de la modification imperceptible de la mémoire. Une pièce qui traite de l’histoire allemande dans ses années les plus noires sur un ton différent, inhabituel, parce qu’il est porté par les voix de ces femmes.
Cette pièce sur la mémoire n’est pas une pièce sur le devoir de mémoire, mais une réflexion sur la façon dont le souvenir se construit, se met en place et se transforme. Plutôt qu’une construction, cette pièce est une révélation, strates par strates, de la vérité des faits. Comme si, couche après couche, les protagonistes pelaient l’orange qu’est cette histoire pour en révéler la chair, la vérité nue. Laissant ces femmes dans la froideur des faits dépouillés de tout ce qui les enjolivait. Chacune réagissant différemment – fuite en avant, acceptation, voire résignation.
Pour mettre en scène ce travail sur la mémoire, Bernard Sobel a choisi un décor épuré, un plateau traité en monochrome pour mieux mettre en valeur les femmes qui sont le véritable sujet de La Pierre. Au-dessus de la scène, des néons indiquent l’année dans laquelle on se trouve pour ne pas perdre le public. Très belle trouvaille, qui lance un éclairage bleuté, surréaliste, sur les événements qui se déroulent sur scène. Les murs de la maison, au centre de l’histoire, sont signifiés par des jeux de lumière. Quand les comédiens n’interviennent pas dans l’action, ils se retirent dans l’ombre, comme les souvenirs enfouis, refoulés. Les meubles sont recouverts de draps blancs, comme si la question de la propriété de cette maison restait dans l’indécision. Rien n’est fixe, rien n’est décidé : tout se déconstruit au fur et à mesure que les courtes scènes s’enchaînent.
La pierre forme le lien entre ces différentes époques, comme un témoin de l’histoire de la famille, mais surtout de l’histoire de l’Allemagne.Tout commence en 1935, lors de la montée du nazisme en Allemagne, puis en 1945 avec l’arrivée des chars russes. La pierre, jetée dans la maison par le carreau, est le symbole de la famille, des vérités transformées au fur et à mesure des années. 1953, c’est la fuite vers l’Allemagne de l’Ouest, on enterre la pierre dans le jardin pour être sûr de la retrouver. 1978, une visite à cette ancienne maison, maintenant habitée par une fillette et son grand-père, pour déterrer la pierre. 1993 enfin, après la réunification de l’Allemagne, le retour dans la maison qui n’appartient plus vraiment à personne. Les années vont et viennent alors que la pièce avance, que la vérité se dévoile, marquées par ce pavé gris.
Pour servir cette mise en scène du vide, il fallait des comédiennes au jeu impeccable. Hélas, cette condition reste inégalement remplie. Edith Scob, dans le rôle de la doyenne, de celle qui a emmenagé la première dans la maison avec son mari, après la fuite des anciens propriétaires juifs, est excellente dans un jeu entre nostalgie du passé et douce folie du présent. Ses échanges en 1935 avec Mieze Schwartzman (Anne Alvaro), celle qui lui laisse sa demeure, restent les meilleurs moments de la pièce, servis par le jeu des deux comédiennes – Edith Scob simulant difficilement son malaise par un enthousiasme forcé, alors que toute la douleur d’Anne Alvaro s’exprime dans le non-dit. Anne-Lise Heimburger tire également son épingle du jeu dans son émotion grâcile mêlée d’une force de caractère exprimée lors de sa première réplique “Je viens pour déranger.”
Hélas, Claire Aveline et Priscilla Bescond ne sont pas au même niveau. Claire Aveline joue avec un étrange accent allemand, fort dérangeant, dont on interroge l’utilité. Nul besoin de cet indice pour comprendre que la scène est en Allemagne, et cela gêne plus que cela ne favorise la compréhension. Quant à Priscilla Bescond, la benjamine de la distribution, elle est constamment dans l’excès, dans les cris hystériques et les grands gestes, ce qui ne correspond pas à la mise en scène discrète, à la rhétorique du silence qui sous-tend la pièce. Enfin, le seul rôle masculin, Gaëtan Vassart, mari, père et grand-père, est bien fade, presque transparent alors qu’il est le personnage autour duquel évolue toutes les femmes.
Une pièce inégale, donc, et l’on ressort du théâtre avec l’impression que cette production passe à côté d’une belle réussite. L’émotion n’est pas loin, elle surgit par moment au détour d’un échange de regards, mais elle aurait pu baigner l’ensemble de ce questionnement sur la mémoire, la famille et le besoin de se raconter des histoires pour exister.
Audrey Chaix
La Pierre
Texte : Marius von Mayenburg
Mise en scène : Bernard Sobel
Avec Anne Alvaro, Claire Aveline, Priscilla Bescond, Anne-Lise Heimburger, Edith Scob, Gaëtan Vassart
Jusqu’au 17 février 2010
Durée : 1h15
Réservations : 01 44 62 52 52 ou www.colline.fr
Plein tarif 27€, le mardi 19€, moins de 30 ans et demandeurs d’emploi 13€
Théâtre National de la Colline
15 rue Malte-Brun
75020 Paris
Métro Gambetta (ligne 3 et 3 bis)
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