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La ménagerie de verre, sauvage transparence au Théâtre de Poche

© Pascal Gely

Cette pièce, qui fut le premier succès de Tennessee Williams, est ici mise en scène par Charlotte Rondelez et une équipe de comédiens menée avec brio par Cristiana Reali. Sans pathos, en une énergie limpide, ils dégagent les fragilités mais aussi la force des protagonistes de cette famille du Missouri dans les années 30.

Nous sommes dans une période charnière de l’Amérique qui, après une croissance effrénée, plonge dans la crise économique. Les inégalités sociales sont profondes, la misère des uns s’est accrue au rythme de l’enrichissement des autres et dans ce monde brutal, chacun est confronté à son propre destin : se plier, fuir, rêver ou foncer. La famille dont il est ici question a été abandonnée depuis des années par le père dont le portrait est resté accroché dans le salon. L’appartement est propre et terne, avec guéridon et napperon en dentelle. La mère et ses deux grands enfants Jim et Laura se débattent dans les difficultés matérielles en dépit de tous les efforts de la mère qui ne cesse de parler avec exubérance, cherchant à faire revivre une soi-disant splendeur passée. Interprétée par Cristiana Reali, belle et étourdissante de faconde et de mouvements ininterrompus, cette mère projette ses illusions sur ses enfants jusqu’à les étouffer. Souhaitant marier sa fille à un bon parti, déniant au passage qu’elle soit maladivement timide et atteinte de claudication, elle charge le fils de trouver un prétendant, alourdissant encore le poids qui pèse sur les épaules de celui-ci, à savoir ramener un salaire en travaillant dans une usine de chaussures et tenir la place fantasmée de l’homme.

© Pascal Gely

Les choix de la mise en scène et la direction d’acteurs, ainsi que la traduction d’Isabelle Famchon, permettent d’entrer de plain pied dans ce déséquilibre familial qui est aussi celui de l’Amérique du moment. Il est question de luttes, de vies à construire, de volontés de s’échapper ou de soumission à la fatalité, de bras de fer entre forts et faibles. Et c’est une belle réussite que cette interprétation, qui parvient à imbriquer batailles des individus en eux-mêmes mais aussi entre eux au sein de la sphère familiale, à l’image de la  société aspirée par  les rouages capitalistes qui transforment les hommes en animaux sauvages et fragiles comme la ménagerie de verre  que collectionne Laura avec amour.

Le texte qui assume des anachronismes permet des ouvertures vers la réalité, comme si après tout, les mots crus et sans détours pouvaient quelquefois aider les individus à réagir. Parallèlement, la séduction presque hystérique et parfois drôle de la mère nous convainc que la frivolité somptueuse est accessible, dès lors qu’on a de l’argent et de quoi endosser une robe de soie dans une grande salle de bal au bras d’un riche planteur. Quelles sont les possibilités de chacun d’accéder à une autre vie, quelle audace ou quel déchirement faut-il accepter pour réaliser ses espoirs ? A travers ces comédiens finement réunis, de multiples nuances sont présentées. Laura, ici Ophélia Kolb, vulnérable et sincère au point de se mettre en péril, contraste délicatement sur la maîtrise de Jim et Tom, que le jeu de Charles Templon et Félix Beaupérin imprègnent de sensibilité. Cette pièce si souvent jouée trouve sur le plateau du Théâtre de Poche une rare interprétation, qui manie avec vivacité les dilemmes auxquels Tennessee Williams lui-même dut faire face.

Emilie Darlier-Bournat

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