La légende d’une vie, un combat de dames signé Stefan Zweig
Le metteur en scène Christophe Lidon redécouvre une pièce de Stefan Zweig qui raconte l’affrontement entre deux femmes autour de la mémoire d’un grand écrivain. Natalie Dessay, maintenant acquise au théâtre, et Macha Méril se livrent à un combat sans merci, autour du jeune Gaël Giraudeau. Puissant et superbement incarné.
Le monde d’hier
Vienne, les années 1920. Leonor Franck, veuve du célèbre poète Karl Amadeus Franck, est la gardienne d’un temple dédié à la mémoire de son mari. Elle pratique son veuvage d’une main de fer, organisant avec le biographe Hermann Bürstein, joué par Bernard Alane, hommages poétiques et soirées de gala dans un appartement en forme de musée ou l’élite viennoise, triée sur le volet, défile sur carton d’invitation. Dans un très beau décor de Catherine Bluwal, fait de hautes tentures d’or et d’un salon strié de motifs géométriques stylisés qui s’emboîtent, Natalie Dessay est une héroïne vibrante, dominatrice et fragile à la fois, dont l’empire de certitudes qu’elle a bâti autour de son époux va peu à peu s’effondrer. La comédienne, le corps fin et moulé dans une robe mordorée, crinière de la même couleur, impulse à son jeu une fébrilité et un dynamisme remarquable, donnant à ce personnage autoritaire une ambivalence et des failles évidentes.
La rivale
Car la forte Leonor va voir s’ébranler la légende créée pour son mari avec l’apparition de Maria, une étrangère venue assister à une soirée donnée en l’honneur du fils de l’écrivain, Friedrich, censé poursuivre l’oeuvre de son père. Gael Giraudeau, présence chaleureuse et regard clair, campe un fils écrasé par un héritage trop grand pour lui, qui se révolte en ruant dans les brancards des mondanités et des conventions. Violent et tendre à la fois, impétueux et brutal, le jeune acteur est remarquable, dirigé très justement par Christophe Lidon. La rencontre avec Maria, subtilement interprétée par Macha Méril, va lui ouvrir les portes de la vérité, alors qu’il découvrira que la biographie composée à la gloire de son père n’est pas forcément la plus juste.
Le jeu de la vérité
Michael Stampe a adapté la belle pièce de l’écrivain viennois Stefan Zweig dont, malgré un début un peu longuet et des références datées, on retrouve le puissant talent d’analyse psychologique dans une peinture de personnages tourmentés par l’histoire. Le brouillard entre vérité et mensonges, générosité et égoïsmes, vraies et fausses valeurs, dans une lutte démentielle des égos artistiques, reste aujourd’hui incroyablement actuel. Surtout, Zweig a l’art de brosser des personnages dont l’humanité nous bouleverse par son ambivalence, sans manichéisme ni artifice. Ce grand portraitiste est ici servi par de beaux acteurs qui nous touchent.
Hélène Kuttner
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