La Journée de la jupe : après le film, la pièce !
Dix ans après le film, la pièce ! Réalisateur de La Journée de la jupe avec Isabelle Adjani dans le rôle-titre, Jean-Paul Lilienfeld a adapté le texte pour en tirer un huis clos théâtral tendu, toujours brûlant d’actualité. Gaëlle Billaut-Danno interprète Sonia, cette prof qui va prendre sa classe en otage…
À l’origine, un film uppercut
En mars 2009, le film La Journée de la jupe est diffusé sur Arte, quelques jours avant sa sortie au cinéma. Record d’audience avec plus de 2,5 millions de téléspectateurs pour la chaîne franco-allemande. Pas étonnant : le film signe le retour au cinéma d’Isabelle Adjani qui rafle au passage un César de la meilleure actrice l’année suivante (le cinquième de sa carrière) et la force du propos marque les esprits. Un succès qui ferait presque oublier qu’à l’époque Jean-Paul Lilienfeld eut bien du mal à trouver des fonds et que son film fut l’objet d’une véritable polémique à sa sortie. En cause ? Un silence convenu autour des thèmes abordés (laïcité, violence à l’école, sexisme, racisme, égalité des chances…). Autant de sujets hardis qui troublent, concernent et… dérangent. En mêlant l’intime et le social, le scénariste saisit avec acuité la réalité âpre d’une classe dans une école laïque et républicaine d’aujourd’hui. Problématiques religieuses exacerbées ? Échec du monde de l’éducation ? Charge contre le sexisme quotidien ? Défense du droit des femmes à vivre et à s’habiller comme elles le désirent sans risquer de se faire violer ? Les grilles de lecture sont multiples. Aucune prise de position ni de condamnation cependant mais un constat : l’urgence à clamer la détresse de profs débordés et peu soutenus alors qu’ils ont un rôle charnière dans notre société.
Un sujet toujours brûlant
Adapter au théâtre La Journée de la jupe n’était pas chose aisée. Mais Jean-Paul Lilienfeld n’aime guère les choses aisées. Plusieurs fois sollicité, il accepte enfin d’écrire cette version scénique (Prix Théâtre 2019 de la Fondation Barrière), sous l’impulsion du metteur en scène Frédéric Fage. Acteur, scénariste et réalisateur (notamment Arrêtez-moi en 2013),
Lilienfeld s’illustre volontiers en traitant de sujets de société dans lesquels la condition féminine est interrogée. Il confie avoir accepté la proposition du metteur en scène “parce que, dix ans plus tard, les raisons qui m’avaient motivé à écrire cette histoire demeurent. Différentes composantes de notre société s’affrontent aujourd’hui en des face-à face tendus (culpabilité post-coloniale, irresponsabilité collective, machisme religieux, l’École mise au pied du mur). Ayons le courage de ne pas les laisser se transformer en corps à corps. J’espère que cette pièce y contribuera”.
L’École au pied du mur
L’histoire fait froid dans le dos : professeure de français dans un collège de banlieue sensible, Sonia s’obstine à venir en cours en jupe malgré les conseils du proviseur. Dépassée par l’attitude de ses élèves devenus “ses ennemis”, elle tente tant bien que mal de faire son cours sur Le Bourgeois gentilhomme de Molière. Las, ces collégiens n’ont que faire de sieur Poquelin ! Lors d’une altercation avec le caïd du groupe, elle confisque son sac et y découvre un revolver. Atterrée, elle s’en empare machinalement, réalisant qu’elle a entre ses mains le pouvoir de se faire entendre. Enfin. Et puis, tout s’accélère, menacée et insultée (elle refuse de rendre l’arme à son propriétaire), elle s’enivre de cette puissance recouvrée, perd pied et le coup part, blessant un élève. Paniquée, Sonia prend alors sa classe en otage et tout devient dingue jusqu’au bûcher final : le RAID et un policier négociateur sont appelés à la rescousse tandis que les langues de ses collègues se délient, la taxant de raciste, de provocatrice voire de maniacodépressive. En réalité, Sonia tente d’aider ces jeunes à s’en sortir… malgré eux. Mais voilà, derrière sa foi en sa mission éducatrice, elle cache une faille béante comme un abîme. Une faille exacerbée par la lâcheté de sa hiérarchie et de bon nombre de ses pairs. Son seul secours viendra d’une élève brimée par la violence masculine (vécue jusque-là comme une fatalité) qui ne supporte pas qu’un “putain d’bâtard” violente une femme devant elle.
Un huis clos social tendu
Frictions violentes, langage cru, mauvaise foi et machisme érigé comme une loi naturelle, on est d’emblée dans le vif de la tension, des divisions, de la rage qui pulse toujours plus haut. La mise en scène convulsive de Frédéric Fage entremêle projections vidéo, éclairages en clair-obscur, jeux d’ombres et break-dance, nous plaçant à la fois dans l’enfermement et dans la vie du dehors en figurant les extérieurs via un habile procédé. Reprendre le rôle tenu par Adjani ? Un exercice de haute voltige théâtrale pour Gaëlle Billaut-Danno. En incarnant cette prof divisée par mille pulsions contradictoires (audace-peur, force-fragilité, raison-égarement mental), la comédienne fait preuve d’un talent remarquable dans l’expression du sensible. La courbe narrative est belle et lui permet de déployer une puissante histoire de femme, porteuse d’une dimension sacrificielle. Tour à tour victime, vengeresse, protectrice, revendicatrice face au policier négociateur (Julien Jacob), elle donne au moindre tressaillement autant de précision que de vibration. Les comédiens en herbe qui l’accompagnent (Hugo Benhamou-Pépin, Amélia Ewu en alternance avec Sarah Ibrahim, Sylvia Gnahoua et Abdulah Sissoko) sont épatants, mais il y en a un qui se démarque par son charisme rugueux : habité par son personnage de tête de Turc, unique dans sa révolte, Lancelot Cherer cadence ses mots comme sa danse, entre feu et givre. On en frémit. Ce spectacle n’offre pas de réponses faciles mais il a le mérite de susciter le débat. Et de souligner l’urgence de faire face.
Myriem Hajoui
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