La Grande Magie n’est pas une illusion – Comédie Française !
Alors que l’Illusion Comique, l’œuvre cornélienne qui questionne l’illusion pour réfléchir le théâtre, est encore à l’affiche à la Comédie Française, voici qu’une autre œuvre bien plus contemporaine, La Grande Magie, déboule avec son lot d’illusions et de désillusions pour partager l’affiche. Et l’on se réjouit qu’au nom de Corneille s’associe le nom d’Eduardo De Filippo, dramaturge longtemps négligé d’une France qui ne reçoit de l’Italie du XXème siècle que les œuvres de Luigi Pirandello, puis Dario Fo. Avec lui pourtant, c’est la fulgurance du théâtre populaire napolitain qui peut enfin prendre corps sur les planches du théâtre de la République! Cette pièce d’Eduardo De Fillipo, outre son accent très psychologique, amène non sans poésie la gravité de l’illusion. Il faut recevoir cette pièce à la lumière de l’après-guerre, période joyeuse et affairée mais mourante aussi. Il faut mesurer combien d’audace il a fallu pour une telle oeuvre au lendemain du fascisme, en 1948 : une pièce comme une gifle rappelant que quelque puisse être la force du désarroi éprouvé, tout homme a la faculté de choisir entre le réconfort de l’illusion et la réalité aiguë, mais vraie.
Le metteur en scène britannique Dan Jemmett, qui a brillé l’an passé dans sa lecture des Précieuses ridicules pour le théâtre du Vieux-Colombier, a su rendre une atmosphère, volontairement fausse mais encore féérique. Lui aussi a dû s’immerger dans l’après-guerre, optant pour un décor populaire et fantaisiste qui sait nous rappeler aux affects des néo-réalistes. Le théâtre est bien dans le théâtre et si cela nous ennuie parfois, que cela devienne une habitude dans les mises en scènes les plus contemporaines, cette mise en exergue des secrets d’illusions prend tout son sens dans La Grande Magie. Il aurait sans doute été moins pertinent de procéder autrement car le comique de la grande Magie se nourrit justement d’une grossièreté des artifices, qui se fonde notamment sur la grossièreté de ceux du prestidigitateur bonimenteur Otto Marvuglia. Et puis, ce n’est pas parce que beaucoup d’effets sont apparents que la mise en scène se prive de poésie, car Dan Jemmett recourt en même temps à des morceaux de décor qui jouent aux trompe-l’œil, à des costumes d’antan où l’après-guerre revit d’hommes en bretelles et de femmes en robes Marylin.
Denis Podalydès campe un Calogero Di Spelta tout en finesse, qui gagne en esprit à mesure qu’il gagne en folie. Il consent à se prêter à un jeu diabolique et à le prolonger indéfiniment, imposant un rôle en puissance de malin au magicien raté Otto Marvuglia. Hervé Pierre, haut en couleur, emprunt d’un humour caustique et détaché à la Fernandel, nous réjouit de bout en bout en incarnant la face sournoise d’un duo masculin des plus percutants. A ce duo, se mêlent à plaisir des portraits de petites gens dont les préoccupations, loin d’être surannées, viennent s’ajouter en mode majeur, et apportent en réalité comme pour contrebalancer la teneur presque merveilleuse d’une farce sur le cocufiage poussée à son paroxysme.
Si l’artifice scénique résidait pour Eduardo De Filippo, dans la « division nette entre farce et tragédie », La Grande Magie telle que nous l’offre ici Dan Jemett réside heureusement, dans la réunion de la farce et de la tragédie.
Une oeuvre d’une richesse inouïe, forte d’une complexité ludique. Bref, une comédie bien noire, et bien jouissive !
Christine Sanchez
La Grande Magie n’est pas une illusion Du 8 octobre 2009 au 17 janvier 2009
En matinée à 14h et en soirée à 20h30
Tarifs : de 11 à 37 euros
Comédie Française – Salle Richelieu
Place Colette – 75001 Paris
M° Palais Royal Musée du Louvre ou Pyramide
[Visuel : © Cosimo Mirco Magliocca]
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