La Gioia : le chemin vers la joie de Pippo Delbono
Pippo Delbono revient au Théâtre du Rond-Point avec un hommage à Bobo, son frère de scène et de vie disparu récemment et qu’il avait connu dans un hôpital psychiatrique. La mémoire du solaire Bobo se mue ici en fête explosive où des acteurs marginaux, habillés comme des princes, jouent et dansent avec des bouquets de fleurs qui surgissent de partout. Étonnant et magnifique.
Une vie de compagnonnage
Les spectacles de Pippo Delbono, que l’on a découvert il y a une quinzaine d’années au Festival d’Avignon avec Guerra, Il Silenzio (2003) ou La Rabbia (2004), se créent avec des acteurs marginaux, danseurs ou artistes handicapés qui apportent à son univers une poésie, une humanité particulière. La danse, le travail sur le corps, la musique et le texte en sont les ingrédients de base, et les moments de théâtre se passent parfois des mots, en silence, avant que Pippo ne reprenne le fil d’un discours enflammé, poétique ou philosophique, avec une simplicité confondante. Son compagnon de vie et de scène, Bobo, sourd et muet, microcéphale, rencontré il y a vingt ans dans un hôpital psychiatrique du sud de l’Italie et qui vient de mourir, a été déterminant pour l’artiste. Bobo, fantôme du monde en raison de ses handicaps, deviendra une star joyeuse, poussant des cris d’oiseaux, cabotinant avec une élégance suprême lors des saluts qu’il adorait, coqueluche de la troupe et du public.
La joie pour conjurer la douleur
“La joie n’est pas un résultat. C’est un fait, une chose, un lieu. La joie crée un espace, dissout, fait le vide. Pour conserver la joie, un tonneau ne sert à rien, mais plutôt un pacte. Tu dois décider que la joie est la route de ta vie.” Il y a bien sûr du bouddhisme, une pensée mystique dans ce discours enragé, ardent, que Pippo nous déclame en douceur au micro, et certains y verront de la foi, un désir de spiritualité et de transcendance divine, quand d’autres y trouveront de la naïveté. Pippo nous prend par la main, par la taille, et dirige tel un chef d’orchestre à la stature imposante, en jean et chemise décontractée, son ballet de danseurs captivants, parfois trop sages.
Des fleurs qui inondent le plateau
Explosion de bouquets de fleurs, lumières de music-hall, rouges ou jaunes, pour sertir les robes de la danseuse de tango, voiles noirs pour une autre qui part dans une transe hallucinée, quand Nelson l’ex-clochard trimballe sa longue silhouette pour semer sur le plateau des dizaines de bateaux minuscules en papier. Voici la mer et ses migrants, qui charrient leur lot de souffrance internationale et voilà la joie d’un spectacle généreux comme un rire d’enfant, qui nous touche au cœur.
Hélène Kuttner
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