La Femme gauchère – Théâtre du Rond-Point
Marianne et Bruno sont mariés. Ils ont un garçon d’une dizaine d’années nommé Stéphane. Ils habitent une grande maison, ils ont un train de vie confortable, ils sont vêtus selon les codes bourgeois et même le garçonnet porte déjà des chemises de fils de bonne famille. Bruno, le mari, s’absente parfois pour raisons professionnelles, tandis que Marianne, jolie jeune femme sans excentricité ni fantaisie apparente, a abandonné son métier de traductrice. Bref, la petite famille totalise tous les ingrédients du bonheur si l’on comptabilise les critères de la modernité occidentale de la classe moyenne-supérieure. Sauf que cette même Marianne, toujours calme et charmante, demande un matin à son mari de la quitter. Et l’harmonie familiale est dissoute. Tranquillement, sur quelques mots, sans bataille.
Une délicate cruauté
Comme souvent lors des séparations avec enfant, c’est Marianne qui garde la maison, tandis que le mari part avec une valise. Des amis, de longue date ou récents, rendent visite à Marianne mais plutôt que de l’inviter à réfléchir aux conséquences de son acte, ils se laissent malgré eux contaminer par sa transformation, sa volonté de liberté et son désir de solitude. Elle ne cherche pourtant nullement à convaincre. Si elle fait bouger ce qui l’entoure, c’est uniquement par sa détermination. Elle s’est écartée de ses engagements mais elle ne prend pas une telle décision pour retomber mollement dans d’autres rails qui seraient tout autant conformistes. Quiconque viendra à elle ne la ramènera pas dans le chemin des conventions et sera au contraire à son tour propulsé en douceur dans une rupture, au moins avec lui-même. L’embardée de Marianne aux airs indolores et feutrés est donc un virage violent.
La réussite de Christophe Perton et des comédiens tout en finesse repose sur le sens des détails ; les gestes, les regards, les mouvements, se tiennent et s’exécutent dans une zone sans éclat, sans bruit, sans heurt. C’est un mince processus destructeur et libératoire que Peter Handke examine avec un humour qui évite toujours la tragédie, préférant les massacres tellement paisibles qu’ils en deviennent constructifs. Le spectacle colle soigneusement au climat du roman, en le transposant avec un grand sens de la fragilité. Fragilité des êtres que les comédiens dirigés minutieusement rendent avec subtilité, souvent avec drôlerie et toujours dans une tonalité vacillante, qui nous communique un désarroi dubitatif et presqu’irréel. Fragilité des ordres familiaux aussi, puis sociaux et professionnels.
Toutes les pièces du puzzle sont désorganisées au millimètre près et une faille à peine esquissée donne à voir le gouffre des petites aliénations discrètes. Le dérapage radical a lieu en sourdine. Le déplacement de Marianne, interprétée avec justesse par Judith Henri, se déroule en sa propre conscience et dans son individualité, il se fait entièrement à l’intérieur. Intérieur de la maison, intérieur de l’être. D’ailleurs, l’ensemble se déroule essentiellement dans le grand salon de la maison, dont la baie vitrée évoque cette fausse transparence des rôles que chacun adopte dans la comédie humaine. Tout se détraque avec tant de calme que même l’enfant peut y assister et y participer. C’est la force de ce spectacle, que d’adopter un registre à la fois frêle et puissant, maladroit et rigoureux, et qui plaira à tous les adeptes de cet univers désarçonnant propre à Handke.
Isabelle Bournat
La Femme gauchère
Adaptation et mise en scène de Christophe Perton
Avec Frédéric Baron, Ophélie Clavié, Yann Collette, Judith Henry, Vanessa Larré, Jean-Pierre Malo, Grégoire Monsaingeon et Olivier Werner
Et, en alternance, Talid Ariss, Blas Durozier, Félicien Fonsino
Du 7 février au 9 mars 2013 à 21h
Le dimanche à 15h30
Relache les lundis
Tarifs : de 11 à 30 euros
Réservations par tél : 01.44. 95.98.21
Durée : 1h45
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D.Roosevelt
75008 Paris
M° Franklin Roosevelt
Par la suite :
- du 12 au 16 mars 2013, au Théâtre National Populaire de Villeurbanne (69)
- du 20 au 23 mars 2013, au Théâtre National de Nice (06)
[Visuel : La Femme gauchère. © Stéphane Trapier]
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