La dernière bande, Beckett-Weber-Stein au Théâtre de L’Œuvre
La dernière bande De Samuel Beckett Mise en scène de Peter Stein Avec Jacques Weber Jusqu’ au 30 juin 2016 Du mardi au samedi à 21 h, le dimanche à 15 h Tarifs : de 10€ à 38€ Réservation en ligne ou par tél 01 44 53 88 88 Durée : 1h Théâtre de l’Oeuvre |
Mis en scène par le grand Peter Stein, cet extraordinaire monologue de Beckett a trouvé avec Jacques Weber un interprète saisissant. L’art du théâtre et la tragi-comédie humaine y sont au sommet.
Un bureau, une chaise, un magnéto, rien de plus sur le plateau. Et l’acteur : Jacques Weber affublé d’une épaisse chevelure hérissée, traînant de longues chaussures pointues, grimé d’un nez de clown. Alors que le public rentre, il est déjà Krapp, un homme vieillissant affalé sur sa table le jour de ses 69 ans. Bougon et désabusé, ours solitaire, il se penche sur sa vie dont il a gardé des bribes très particulières en s’enregistrant à chacun de ses anniversaires. Ce soir-là, il choisit d’écouter la bande qu’il boucla pour ses 39 ans. Sa voix se met alors à occuper le plateau et le vieux Krapp, tandis qu’il écoute cet enregistrement, réagit à ses propres réflexions tenues lorsqu’il était jeune. Il lève un sourcil, il grogne, il s’agace, il se commente sans complaisance, et le monologue des années lointaines vient dialoguer avec le monologue qui s’élabore sous nos yeux. A partir de cette situation inhabituelle, les années se transforment en une puissance active et l’homme devient à la fois le jouet et l’acteur du temps. La plongée du vieux Krapp dans ses souvenirs crée un moment abyssal qui invite le spectateur à une descente existentielle. Non seulement cet emboitement d’épisodes de vie permet à celui qui les a vécues d’opérer un retour sur son existence, mais il permet aussi d’effectuer un retour critique sur les interprétations qu’il en donne au fil des âges. Le vertige lentement ainsi se décline, tandis que Krapp en scène émet des grognements, manifeste des perplexités quant à ses propos passés, se commente lui-même avec des borborygmes et des étonnements autant que des éclairs de lucidité et des traits cinglants sur ses actes de jeunesse. Il ironise sur le jeune homme qu’il fut, stoppe parfois la bande du magnéto, revient en arrière, reste interloqué puis réécoute, tantôt parlant de lui à la troisième personne tantôt s’arrêtant avec une moquerie désespérée sur une scène d’amour inoubliable dont les détails sont une saignée poignante dans le présent. Peter Stein signe une direction d’acteur et une mise en scène magistrales, respectant toutes les indications minutieuses de Beckett et scrutant à la loupe chaque silence et chaque mot. Il permet de donner à la structure de la pièce sa sidérante profondeur, où l’économie du verbe couplée aux longues séquences clownesques et tragiques touche à la plus bouleversante sobriété. Jacques Weber, en ses lourds mouvements tristes et rageurs, accablé et sarcastique, déploie l’immensité d’une existence qui se retourne sur elle-même avec l’apparente simplicité d’un geste, alors que c’est le maelstrom d’une interrogation sur le sens même de la vie qui nous prend à la gorge. Sans emphase ni le moindre ajout d’effet, Jacques Weber est Krapp jusque dans ses clignements d’yeux, ses toux de vieil homme seul et ses derniers caprices gourmands, tandis qu’il ingurgite une banane avec humour et bouffonnerie. Par une moue ou une brève étincelle du regard, il fait surgir l’incroyable persistance d’un souvenir et par là il fait chavirer dans l’esprit du spectateur la notion du temps. L’image d’une femme dans une barque revient et s’obstine à revenir, concentrant l’essentiel de l’amour qui traversa le cœur de cet homme. En quelques mots répétés, la scène semble se dérouler à l’instant sous nos yeux et un fragment d’existence se projette sur la trame entière que fut une vie. C’est dire que la poésie autant que le burlesque habitent ce monologue, dont la simplicité n’a d’égale que la puissance métaphysique. Le théâtre est ici portée en son essence pure, donnant à sentir par le verbe incarné, sur un plateau peu chargé, les plus abruptes et laconiques interrogations sur le sens d’une vie, de la jeunesse jusqu’au seuil de la mort, le tout en une heure qui restera inoubliable. Emilie Darlier [Photos : ©Dunnara Meas] |
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