0 Shares 7219 Views

La « Decadance » d’Ohad Naharin s’empare du Palais Garnier

Thomas Hahn 4 octobre 2018
7219 Vues

"Decadance" d'Ohad Naharin par la Ballet de l'Opéra National de Paris © Julien Benhamou

Même à l’Opéra Garnier, le public se détend de plus en plus ! On aurait pu se demander comment il allait réagir, face à une troupe en pantalons de ville et en débardeurs, et un tableau tout en mouvements des mains et des bras, à l’opposé de toute élégance classique, de toute convention tutu-esque. Mais les temps changent, et Ohad Naharin va même jusqu’à offrir à ce ballet une parodie du Monsieur Loyal, tel qu’il se plaçait, il n’y a pas si longtemps encore, devant le rideau, un micro à la main, pour proscrire l’usage des appareils photo.

“Decadance” d’Ohad Naharin par la Ballet de l’Opéra National de Paris © Julien Benhamou

Dans « Decadance », ce rôle, aujourd’hui remplacé par une annonce enregistrée, ressurgit tel un running gag pour agrémenter les transitions. Et quand ce conférencier, à l’attitude stoïque au 2nd degré, demande à la salle de se lever… personne ne reste assis! Ensuite commence un jeu qui finira par voir une personne monter sur scène pour participer à un trio avec deux danseurs. Le grand bal, lui, doit attendre. Mais le moment arrivera, où chacun des trente danseurs va chercher une personne dans la salle pour une danse collective, très libre et pourtant finement orchestrée. Une master-piece participative!

Les enjeux du titre

En vérité, « Decadance » n’est pas tant une pièce qu’une sorte de cabaret dansé, composé de divers regards sur l’art d’Ohad Naharin, dans toute sa diversité, du pas de deux chargé de mélancolie ou de tendresse jusqu’aux tableaux d’ensemble où le mouvement appartient au collectif. Il faut voir « Decadance » comme une boite à outils, comme un jeu de Meccano, que Naharin se plaît à recomposer de temps à autre, en puisant dans la richesse de ses créations.

“Decadance” d’Ohad Naharin par la Ballet de l’Opéra National de Paris © Julien Benhamou

Cela explique le drôle d’anachronisme qui nous frappe à la lecture du programme de salle. « Decadence » aurait donc été créé en 2000, et serait composé d’extrait de pièces créées, elles, après 2000? En effet, c’est possible. La première de « Decadance » a effectivement eu lieu en 2000, à Tel Aviv. Et cela pour fêter les dix ans de Naharin à la tête de la Batsheva, compagnie emblématique qui se tourna, suite à l’arrivée de Naharin, du ballet vers la danse contemporaine.

Donc, le titre de « Decadance » joue subtilement avec l’idée de briser les codes du ballet, mais se réfère avant tout à une décennie (decade, en anglais) de créations du chorégraphe. Aujourd’hui, pour cette nouvelle version transmise au Ballet de l’Opéra de Paris, Naharin puise même dans deux décennies de créations, de 1992 (« Mabul ») à 2011 (« Sadeh21 »).

“Decadance” d’Ohad Naharin par la Ballet de l’Opéra National de Paris © Julien Benhamou

Un succès mondial

Naharin y voit une façon de poser de nouveaux regards sur ses propres styles et formes. C’est pourquoi « Decadance » contient d’une part certains piliers et d’autre part des pièces que peuvent changer, de transmission en transmission, à travers le monde. Avec son côté boîte à surprises, son rythme soutenu et son ambiance festive, ce programme est devenu un tube mondial, entré au répertoire de nombreuses compagnies de ballet. Et désormais aussi au Ballet de l’Opéra de Paris.

La scène la plus emblématique est la fameuse ronde tirée d’« Anaphase », pièce créée il y a vingt-cinq ans! Voilà une communauté entre tragédie et envolée collective, symbolisée par une vague on ne peut plus harmonieuse, dansée en position assise par des danseurs en costume de ville, sur un demi-cercle de chaises. On y chante l’ensorcelant « Echad Mi Yodea » et chacun enlève sa veste, son pantalon et ses chaussures, pour tout jeter sur un grand tas au centre. Oui, les trente danseurs de l’Opéra de Paris chantent sur scène, en hébreu, et c’est impressionnant!

Le Ballet de l’Opéra en terre promise

Cette scène révèle à elle seule leur souplesse et leur légèreté, puisqu’ils se prêtent au jeu avec un plaisir manifeste. Et ce plaisir se transmet à la salle. Si certains pas de deux plutôt romantiques se perdent un peu sur l’énorme plateau, on se laisse pleinement emporter par les tableaux de groupe développant un langage gestuel découlant de la fameuse technique  « Gaga » de Naharin, où toutes les parties du corps se libèrent face aux autres, dans des mouvements à la fois simples et amples.

« Decadance » amène un esprit irrévérencieux qui rappelle certains passages de Jérôme Bel ou autres chorégraphes contemporains au Palais Garnier, mais lui ajoute un énorme plaisir de danser et une joie réelle de se mettre à jouer avec son propre corps. Se crée alors une vraie communauté, dans un ensemble plutôt réputé pour la concurrence entre ses interprètes. Les ateliers “Gaga” avec Naharin y ont très certainement contribué. Dans la fougue de leur jeunesse, ces trente Sujets, Coryphées ou Quadrilles savent faire tomber le quatrième mur, saisissant les propositions de Naharin en plein vol, avec gourmandise et enthousiasme.

Thomas Hahn

Articles liés

unRepresented by a ppr oc he revient pour une 3e édition du 4 au 6 avril au Molière à Paris
Agenda
38 vues

unRepresented by a ppr oc he revient pour une 3e édition du 4 au 6 avril au Molière à Paris

Pour sa troisième édition, le salon unRepresented by a ppr oc he revient du 4 au 6 avril au Molière à Paris et réunit 16 propositions singulières : 15 solo shows, et une installation in situ. Parmi elles, sera...

“La Ménagerie de verre” de Tennessee Williams : une création inédite à découvrir pour la première fois au Lucernaire !
Agenda
50 vues

“La Ménagerie de verre” de Tennessee Williams : une création inédite à découvrir pour la première fois au Lucernaire !

Nous sommes chez les Wingfield, à Saint-Louis, dans l’Amérique des années 30. Amanda élève seule ses deux grands enfants, Tom et Laura. Elle est dépassée par l’éducation de ses enfants, connaît des difficultés financières et une sorte de crise...

Après un beau succès, “L’Alchimiste” de Paulo Coelho revient au Lucernaire
Agenda
53 vues

Après un beau succès, “L’Alchimiste” de Paulo Coelho revient au Lucernaire

À la suite d’un rêve lui révélant l’existence d’un trésor caché, Santiago, jeune berger andalou, décide d’entreprendre un voyage. Ce périple le conduit d’Andalousie jusqu’au pied des pyramides, en passant par Tanger et le désert du Sahara… Ce voyage...