La Dame de chez Maxim et Les Beaux : le couple dans tous ses éclats au Théâtre de la Porte Saint-Martin
Au Théâtre de la Porte Saint-Martin, Zabou Breitman a choisi Léa Drucker pour jouer la Môme Crevette dans La Dame de chez Maxim quand Côme de Bellescize monte Les Beaux de Eléonore Confino au Petit Saint-Martin avec Elodie Navarre et Emmanuel Noblet. Un Feydeau côté pile et un auteur contemporain coté face, deux spectacles réjouissants et très bien interprétés sur les dérives du couple bourgeois.
La Dame de chez Maxim : explosive Léa Drucker
Casting d’enfer pour cette Dame de chez Maxim, où le génial Georges Feydeau dépeint une fois de plus une société bourgeoise dynamitée par la présence d’une danseuse de cabaret qui se trouve dans le lit du mari. C’est la plus longue pièce de l’auteur, mais aussi son plus gros succès, avec vingt-neuf personnages qui virevoltent en passant d’un décor à un autre. Forte de la réussite du Système Ribadier monté à la Comédie Française, Zabou Breitman en propose une lecture vivifiante, enlevée, incarnée par seize comédiens tous excellents. Dans un somptueux décor de toiles peintes, qui s’escamotent et disparaissent de manière fluide signées Antoine Fontaine, Micha Lescot s’éveille au premier acte en Docteur Petypon, ébouriffé et dégingandé, le corps nonchalant comme un élastique. Où a t-il passé la soirée ? Sa femme qui pourtant porte haut la vertu chrétienne, illuminée comme une miraculée, jouée par l’épatante Anne Rotger, ne semble pas s’en soucier. Son ami Montgicourt, qui a la tête de Georges Feydeau, Christophe Paou- distingue pourtant un ronflement, derrière le rideau. C’est celui de la Môme Crevette, une excentrique qui n’a pas froid aux yeux et déboule franco comme un chien dans un jeu de quille. Léa Drucker, silhouette agile et moue coquine, fraichement vêtue, adopte la gouaille d’Arletty, la fantaisie et la franchise des femmes à qui on ne la fait pas. Sans une once de vulgarité, avec une énergie explosive et un sens musical affirmé, elle rayonne dans ce rôle écrasant, en apportant beaucoup d’humanité au personnage. Si on regrette quelques facilités, comme le fait de travestir les hommes en femmes pour camper la réunion familiale du second acte, ce qui n’ajoute rien et ralentit le rythme, on admire le talent des comédiens et André Marcon incarne le Général avec beaucoup d’aplomb dans ce spectacle en forme de clin d’oeil à la bande dessinée.
Les Beaux : l’envers du couple parfait
Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils s’aiment passionnément et ressemblent à Barbie et à Ken. Sur une bande son psychédélique, dans un univers aseptisé au design subliminal, ces deux moitiés d’eux-mêmes s’embrassent, se lovent, échangent sur leurs rôles respectifs. L’un travaille chez Publicis et gère les publicités du monde, l’autre a tout arrêté pour se consacrer à leur fille de sept ans qui se terre dans sa chambre, ne socialise pas et refuse tout contact avec l’extérieur. La jeune auteur Léonore Confino aime écrire sur nos dérives, nos fantasmes et la déliquescence de nos existences trop parfaites. Au scalpel de son écriture sauvagement ironique, acérée comme un couteau de cuisine, elle dépèce nos comportements, nos attitudes et les faux semblants de nos existences trop bien huilées, pour en déceler les failles, les scories. Du rêve d’un couple parfait, on bascule soudain dans le cauchemar, dans l’horreur, et la plongée dans le fantastique, l’envers peu reluisant d’un décor de carton pâte est aussi âpre que la vitrine était reluisante. Côme de Bellescize a trouvé en Elodie Navarre et Emmanuel Noblet les interprètes parfaits de ce duo d’enfer, dans lequel chacun d’eux se transforme en monstre. L’égoïsme, les frustrations, l’immaturité de ces parents trop tôt chargés de responsabilités font d’eux les victimes collatérales d’un délire collectif. Les deux comédiens, car on ne présente plus Elodie Navarre qui est épatante de présence dans tous ses rôles, sont formidables d’engagement et de sincérité. C’est un duo d’amour qui cache un combat de boxe, une lutte à mort écrite sur le fil d’un rasoir. A voir !
Hélène Kuttner
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