“La Collection” et “L’Amant” : masques et manipulations signés Pinter à l’Atelier
Avec “La Collection”, qui fut déjà créée à Rennes et Paris, et “L’Amant” qui prend place aujourd’hui dans le même décor du Théâtre de l’Atelier, Ludovic Lagarde revisite avec subtilité l’auteur anglais Harold Pinter avec un quatuor de comédiens impressionnants. Tels des fauves dans une arène, Valérie Dashwood, Laurent Poitrenaux, Mathieu Amalric et Micha Lescot se livrent à des jeux de séduction et de prédation comme dans un film noir, dans une version française d’Olivier Cadiot. Quand le théâtre vient brouiller toutes nos certitudes.
La Collection
Ecrite en 1961, cette comédie noire fait s’affronter sur un échiquier tragique deux couples. Bill, un jeune créateur de mode, vit chez son amant Harry dans un quartier chic de Londres. À Chelsea, repère du monde des artistes et de la mode, vivent James et Stella, sa femme, qui est styliste. Or cette dernière révèle à son mari qu’elle a eu une aventure avec Bill, le jeune créateur de mode dans un hôtel de Leeds. James cherche à en savoir plus et pourchasse Bill, qui joue avec lui comme le chat avec une souris. Que s’est-il passé dans l’hôtel, et pourquoi Stella a t-elle avoué cette histoire à James ? Réel ou fantasme, vérité ou mensonge ? L’auteur s’amuse à tisser un écheveau de pistes qui brouillent notre lucidité. À ce jeu de la perversion et du roman policier, Mathieu Amalric est royal dans le rôle de Harry, noctambule gorgé d’alcool, malmené par son amant aux cheveux roux Bill, qu’incarne Micha Lescot avec un flegme britannique, une insolence achevée et ses interminables jambes, le torse moulé dans un pull bleu azur. Ces deux-là s’écorchent à loisir, tandis que Laurent Poitrenaux, inquiétant et pervers, campe le mari jaloux et Valérie Dashwood, démarche chaloupée dans des robes seventies, l’épouse éthérée. C’est pour eux, ces comédiens qui ressemblent à des fauves qui se pourchassent ou s’évitent, se jaugent ou s’effraient, qu’il faut voir cette production.
L’Amant
Dans un rituel des plus ordinaires, un mari qui quitte son épouse pour aller à son bureau, Pinter amène de l’extraordinaire au quotidien, du sulfureux au banal. Tous deux, Richard et son épouse Sarah, savent qu’ils ont, elle un amant, lui une maîtresse. Ils se le disent, détaillent leur journée de trahison conjugale, avec détails grivois distillés intimement, dans la plus extraordinaire des routines. Sauf qu’à force de jouer, de badiner et de tricoter le vrai avec le faux, le mécanisme se rouille, se détraque, et l’ennui de ces jeux de rôles gagne les deux époux… dont les amants respectifs ne sont personne d’autre qu’eux mêmes. Le mari joue l’amant, la femme la maîtresse, pour combler la routine du mariage avec un adultère récréatif et érotique. Valérie Dashwood et Laurent Poitrenaux incarnent ces deux époux mi-anges, mi-démons. Dommage que la mise en scène ne fasse jamais décoller le spectacle vers un trouble plus inquiétant, plus gênant. Les séquences se succèdent avec la régularité souhaitée sur le papier, mais l’enchaînement des scènes se fait sans rupture et sans trop de surprise, ce qui a tendance à lisser le propos et a en gommer le trouble. Dommage, car les comédiens composent habilement leurs personnages, trop sagement peut-être. Reste le plaisir de la redécouverte de ces oeuvres qui dépassent le simple boulevard pour en faire exploser toutes les failles de notre quotidien, dans notre intimité la plus secrète.
Hélène Kuttner
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