La Cie Les Ouranies, entre théâtre et musique
Virginie Boucher et Etienne Briand de la compagnie Les Ouranies, basée à Alençon, nous racontent leurs parcours, leurs inspirations et leurs projets.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Quels sont vos rôles dans la compagnie ?
Etienne Briand : Je suis Etienne Briand, comédien et musicien de formation. Dans la compagnie, je suis à la conception technique des projets et travaille en particulier le son, l’image et la vidéo. J’aime bien lier l’artistique et la technique. Je suis artiste associé de la compagnie.
Virginie Boucher : Je m’appelle Virginie Boucher. Je suis la deuxième artiste associée. Je suis comédienne de formation. Je suis devenue metteure en scène par désir et par la force des choses puisque je suis professeure de théâtre au Conservatoire d’Alençon depuis 2009. Cela m’a permis de développer tout un travail de mise en scène pour la compagnie. Je suis aussi dramaturge et auteure de certains projets.
À partir de cette saison, je vais pouvoir épauler Etienne pour les tâches administratives et pour le suivi quotidien (communication, relationnel) sur les projets au long cours.
Quels sont vos parcours professionnels respectifs ?
E.B : J’ai fait option théâtre au lycée de Tréguier (22) puis Arts du spectacle à Rennes 2. J’ai ensuite intégré une formation professionnelle du comédien en 2 ans à l’Actea (Cité Théâtre) à Caen. Lors d’un stage, en fin de formation, j’ai travaillé sur L’Opéra de Quat’sous (B. Brecht) ; à cette occasion, j’ai repris le trombone à coulisse, un instrument de musique auquel j’ai été initié plus jeune. J’ai alors perçu l’intérêt d’associer cette deuxième discipline dans ma pratique de comédien. J’ai créé un solo musique et théâtre qui m’a donné envie d’approfondir mes compétences de musicien. J’ai donc suivi des cours de trombone au Conservatoire de Caen jusqu’à l’obtention du DEM.
En parallèle, j’ai poursuivi différents stages en tant que comédien. J’ai ainsi rencontré Jacques Falguières, le Directeur de la Scène Nationale d’Evreux avec qui j’ai travaillé quelques années. Il m’a initié au travail du texte. À travers ma formation de comédien à l’Actea, le travail était essentiellement tourné sur le corps, à travers différentes Écoles de théâtre comme la Commedia dell’arte, le Théâtre du Mouvement… Ce travail sur le texte était une invitation à prendre de la distance avec l’interprétation pour laisser plus de place aux sons et à la résonance d’une écriture. Cela faisait écho à mon parcours de musicien que j’étais en train de construire.
Au conservatoire, j’ai aussi fait une formation d’informatique musicale sur le travail du son et du mixage audio, ce qui posera les bases de mes connaissances techniques pour le reste de mon parcours.
V.B : J’ai eu le goût du théâtre à l’adolescence. Je me suis inscrite en Licence Art du spectacle à Caen. J’ai continué ce cursus jusqu’au Master. En parallèle, j’ai pratiqué le théâtre le plus possible malgré le manque de cours proposés. Cependant, un endroit était intéressant à Caen : l’Actea, dirigé à l’époque par Jean-Pierre Dupuy. Nous, les élèves de l’Actea avons rencontré beaucoup d’artistes et leurs univers. Nous avons pu nous inscrire à un cours de théâtre du geste, d’improvisation collective, de texte… Nous avons pu cumuler plusieurs ateliers. Cela m’a beaucoup nourrie et cela m’a permis de faire de la danse, de travailler le théâtre corporel que j’affectionne et l’improvisation collective qui m’intéresse. Étant littéraire, j’ai alors réalisé que nous pouvions travailler Dostoïevski en improvisation collective et que nous pouvions trouver des ponts. Aujourd’hui, c’est ce que nous continuons à faire avec la compagnie et c’est ce qui me passionne !
En parallèle de ma formation universitaire, j’ai eu la chance de pouvoir profiter du dispositif “Emplois jeunes”. À l’Actea, Jean-Pierre Dupuy a créé 4 postes d’emplois jeunes d’une durée de 5 ans. Le temps de travail de chaque poste était réparti en quatre temps : nous nous formions, nous étions comédiens, nous apprenions à transmettre et à proposer des ateliers et nous étions en charge d’un secteur administratif. J’ai hérité du secteur Théâtre École Jeunesse. Je m’occupais de coordonner tout ce qui se passait dans les ateliers “jeunes” sur le territoire. C’était extrêmement formateur. Je continuais en même temps à jouer dans les créations de l’Actea. Nous étions des artistes permanents tout en développant des compétences administratives.
En 2002, j’ai basculé dans l’intermittence du spectacle. Avec l’Actea, nous développions différents projets : autour du clown ou à partir d’un texte comme La ménagerie de verre de Tennesse Williams. En 2005 a été créé le diplôme d’état permettant aux artistes de théâtre d’envisager de devenir professeurs de Conservatoire. Je l’ai obtenu ! Dans la foulée, j’ai passé le certificat d’aptitudes, il me permet d’être responsable d’un département théâtre ou coordinatrice. En 2009, j’ai postulé pour créer le département théâtre au Conservatoire de musique d’Alençon. J’ai été recrutée et honorée que l’on me fasse confiance. Très vite, je me suis rappelée à quel point la pratique de la musique était importante pour moi. J’ai donc continué la trompette après avoir fait une dizaine d’années de guitare classique. Tout se reliait, je comprenais pourquoi j’étais dans un Conservatoire de musique !
Pour créer la compagnie professionnelle Les Ouranies, nous avons proposé à quelques personnes de nous aider. Aujourd’hui encore, les membres adhérents bénévoles qui constituent le conseil d’administration de l’association nous épaulent et travaillent à son fonctionnement et à son rayonnement. Nous avons aussi dès 2012 bénéficié d’un soutien de la ville d’Alençon et dès 2013, de la confiance de la directrice de la Scène nationale 61.
Quelles sont vos inspirations pour créer ?
V.B : Cela dépend des projets mais quoi qu’il arrive je crée en musique. Je peux écouter en boucle un morceau car il m’inspire et me permet de m’isoler. La musique est une grande source d’inspiration. Tout ce qui est photographie, art pictural et particulièrement la période fin 19ème siècle, le symbolisme et les années 1920 et 1930 m’intéressent. En ce moment, je me passionne pour le surréalisme, je lis l’autobiographie de Man Ray pour notre nouvelle création jeune public.
L’art déco en architecture et la littérature m’inspirent également. Quand on est artiste de théâtre, on s’inspire de pièces vues et de rencontres. J’ai eu des chocs artistiques, je me souviens particulièrement de La Maladie de la Mort de Marguerite Duras mise en scène par Bob Wilson avec Piccoli et Lucinda Childs. J’adore Duras ! Quand j’ai assisté à cette représentation au théâtre de Caen, j’ai été scotchée ! De nombreux chorégraphes m’inspirent beaucoup. Les mouvements et les prises de paroles très dessinés, la musicalité du corps me captent et m’inspirent.
E.B : Mes inspirations ont beaucoup de similitudes avec celles de Virginie. Nous avons d’abord mené un travail sur le Patrimoine. Il me renvoie à l’Histoire, à la mémoire des gens qui ont conçu et travaillé à l’édition de ces édifices. Je suis sensible à cela ! Même petit, j’étais très touché par la présence des disparus. Cela a nourri certains de nos projets associés à la Première et à la Seconde Guerre Mondiale. Nous rentrons alors dans une forme de connexion dans laquelle il n’y a pas forcément de croyance, mais cela nous fait vibrer.
La musique est aussi un élément déterminant. L’espace sonore est porteur d’imaginaire beaucoup plus que l’image. Le pouvoir d’une création sonore, d’une musique est intense et considérable sur l’imaginaire et sur l’émotion. Enfin, j’ai une forte attraction pour les nouvelles technologies. Pour moi, les capacités innovantes de certains logiciels, et de différents appareils, sont source de créativité ; je me demande comment je vais pouvoir connecter ensemble ces outils afin d’utiliser cette technologie au service du sensible et de la création artistique.
Ces dernières années, vous avez créé de nombreux dispositifs associant lecture d’œuvres littéraires et installations multimédias. Pouvez-vous nous en parler ?
E.B : Ces projets viennent de notre goût pour le texte. Au CDN de Caen, j’ai eu l’occasion d’écouter une lecture très bien menée, qui m’a complètement embarqué dans l’histoire du texte. Un spectacle est associé à une scénographie, à une mise en scène… C’est autant d’éléments qui vont réduire le champ des possibles en termes d’imaginaire alors qu’une lecture, avec quelques éléments, peut nous permettre de créer notre propre histoire. C’est pourquoi le premier spectacle que nous avons créé avec la compagnie était une lecture sonore et musicale : L’enfant d’éléphant, un texte de Rudyard Kipling. Tout était basé sur le texte, la musique et le son.
À partir de 2017, une collaboration s’est créée avec Monique Cabasson, Présidente du Salon du Livre d’Alençon. J’ai conçu pour ce salon un premier dispositif de lectures immersives : La Puce à l’oreille. Je lisais des extraits de romans, de nouvelles avec un mixage audio. Ces fictions sonores étaient créées en direct, les gens les écoutaient avec un casque. Ce travail m’a confirmé l’intensité émotionnelle que peut produire le son : j’ai par exemple vu une personne pleurer au bout de quelques minutes de diffusion lors d’une tournée de La Puce à l’oreille au festival Époque à Caen… Il suffit que notre sensibilité soit touchée et nous plongeons dans un autre univers.
De nombreuses déclinaisons de ces lectures immersives ont été créées par la suite. Elles ont en commun de s’appuyer sur les atmosphères sonores et le goût de dire un texte “sans en faire de trop”. Nous cherchons simplement à créer un lien entre la sensibilité de l’auteur et la nôtre. J’ai décliné d’autres projets de lectures immersives dont le plus récent, la Maison Usher (festival Ombres et Lumières – Ville d’Alençon), est un travail non seulement audio mais qui intègre une forte dimension de création vidéo.
Qu’avez-vous entrepris culturellement pendant les confinements ?
V.B : Ma priorité a toujours été mon poste au Conservatoire. Pendant le premier confinement, je n’étais pas positionnée sur un projet en cours. Je commençais à réfléchir à notre nouvelle création ; en 2020 ce n’était pas encore l’heure de la conception, de l’écriture… Je me suis surtout questionnée en tant qu’enseignante artistique et comment j’allais garder le contact avec mes élèves à distance, tout en réinventant sans cesse.
À la sortie du confinement, un dispositif d’appel à projets « Quartiers d’été » a été lancé par l’État (politique de la ville) et soutenue par la Communauté Urbaine d’Alençon. Elle a fait appel à toutes les associations du territoire pour leur permettre, si elles le souhaitaient, de redonner aux jeunes la possibilité de reprendre contact avec du “vivre ensemble”. Nous avons proposé et écrit le projet “Mondes parallèles”. Le projet était intense, il m’a beaucoup touchée. Nous nous sommes associés à Anne Mousselet, une chorégraphe. Nous avons proposé un projet entre théâtre, danse et vidéo avec des centres sociaux. Nous avons écrit sur mesure un texte qui permettait de mettre en scène avec humour et à distance toute cette profusion de fausses informations qui peuvent parfois circuler : un article avait fait le buzz, des scientifiques avait la preuve que les mondes parallèles existaient ! Nous nous en sommes servis. Nous avons imaginé que des chaînes d’informations en continu, basées dans différents endroits d’Alençon, se battaient pour avoir le scoop : “nous savons de source sûre que la faille spatio-temporelle s’ouvrira dans notre ville”. Nous avons adapté ce projet au fur et à mesure des rencontres.
E.B : Je n’ai pas arrêté ! J’ai travaillé sur beaucoup de projets de création vidéo. Je travaille souvent sur le pôle universitaire. On m’a demandé de faire une vidéo pour présenter le campus qui s’est retrouvé complètement vide. J’ai imaginé avec Clément Rousselin, de la Maison de l’Etudiant, une vidéo dans laquelle un étudiant se retrouvait seul sur le pôle universitaire… et c’était la réalité ! Cet étudiant s’est donc approprié l’espace. Il se servait d’un amphithéâtre comme salle de cinéma, prenait des cocktails dans la bibliothèque universitaire… Nous nous sommes amusés avec la frontière entre réalité et fiction. Ces confinements ont été une occasion de dépasser les contraintes. Cela a été très riche en projets et en créativité.
J’ai eu un projet de vidéo d’annonce pour les journées du Patrimoine. Avec Sylvain Legros (animation 3D) de We are Kraft, nous avons fait voler des voitures dans un Alençon apocalyptique en nous appuyant sur le scénario que proposait Sandrine Caremel-Charles du service culturel de la Ville d’Alençon.
En décembre 2020, dans le cadre de Mômo Festival (Festival Pays de Haute Sarthe), je suis allé faire des fictions sonores dans les écoles, en déclinant le dispositif de La Puce à l’oreille. Les enfants ont pu enregistrer leur voix avec des casques audio dans lesquels ils entendaient des atmosphères associées à des histoires choisies par les bibliothécaires de la Communauté Urbaine d’Alençon. Les mixages audio ont ensuite été diffusés en ligne.
Quelles sont vos projets en cours et futurs ?
V.B : Grâce à un appel à projet de la Ville d’Alençon, dans le cadre du bicentenaire de la naissance de Charles Baudelaire, nous avons proposé l’écriture et la réalisation d’un docu-fiction d’à peu près 6 minutes. Le film s’appelle B(e)audelaire, son cœur mis à nu (titre provisoire), je mets le (e) parce que dans son nom il y a “lai” et j’avais aussi envie de mettre le “beau”. Mon cœur mis à nu est un de ses derniers travaux publié à titre posthume. Baudelaire sera à sa table de travail, interprété par un comédien professionnel de talent, Rodolphe Dekowski. Je transpose les dernières années de la vie de Baudelaire dans un espace-temps non déterminé. Il écrira tout en étant inquiet de son état et de ce qu’il laissera après sa mort. Il n’arrivera donc pas à se focaliser sur son écrit. Grâce à des flashs, il apercevra ce qu’il est devenu pour nous aujourd’hui : un objet d’étude et de vente. Nous tournons fin août.
Parallèlement, je continue à travailler sur notre projet de création jeune public Ce chat qui est en toi. Nous avons créé différents spectacles qui ont une dimension jeune public autant que tout public. J’avais besoin de retourner au plateau, je me suis donc écrit un rôle sur mesure : une illusionniste qui vient se produire dans un cabaret, elle nous fait entrer dans le monde des chats et nous raconte qu’elle est une chatte qui s’est métamorphosée en humain. C’est un spectacle musical. Un pianiste Cédric Granelle et moi-même serons sur scène. C’est une chance inouïe de travailler avec cet artiste, c’est un compositeur très ouvert et très foisonnant dans ses propositions. Les premières seront jouées à la Scène Nationale 61 pendant la saison 2022-2023.
Je suis sur la reprise d’un spectacle Dompter la Bicyclette de Mark Twain que nous avons créé en 2013 à la Scène nationale d’Alençon. Nous bénéficions d’une aide dans le cadre du plan de relance Culture. C’est le réseau du PACS Diagonale et des théâtres de ville de Normandie, soutenu par le ministère de la Culture – DRAC Normandie et la région Normandie qui nous permettent d’être accueillis en résidence au Théâtre Charles Dullin à côté de Rouen, en septembre. Nous avons des dates à Caen et à Isigny Omaha Beach.
Nous jouerons notre spectacle jeune public Au-dedans l’Univers au Mômo Festival, porté par l’association Festival des Pays du Nord Sarthe en décembre 2021.
E.B : Je travaille sur un projet de vidéo au Musée des Beaux-Arts et de la Dentelle pour les Journées du Patrimoine : Le vol d’Icare. Cette année, le thème choisi par la ville d’Alençon concerne les aviateurs… Au musée, il n’y a aucune œuvre en lien avec l’aviation. Après des échanges avec Johanna Mauboussin, la Conservatrice et Directrice du Musée, nous avons imaginé un scénario à partir du tableau Dédale et Icare : le personnage d’Icare (qui est sur le point de s’envoler) sortira du tableau et commencera à voltiger dans le musée, offrant au spectateur une visite insolite des expositions. Sylvain Legros de We are Kraft s’occupera de l’animation du personnage. Je ferai aussi voler un drone dans certaines parties du Musée. Il y aura un jeu avec une petite fille qui tentera d’attraper Icare…
Je vais continuer les reportages pour la WebTv: Insitu Tv sur la vie étudiante, sur des rencontres avec des artistes, des interviews… Depuis 2014, la WebTv enregistre 30 000 vues par an, 15 à 20 vidéos par an, 150 prises de paroles de jeunes.
J’ai envie de développer des plateaux TV, nous sommes en capacité maintenant de pouvoir le faire. Un plateau TV devrait se créer dans le cadre du salon des formations supérieures de l’Orne. Ce sera l’occasion pour moi de gérer la partie technique mais aussi d’accompagner les jeunes dans la prise de parole devant la caméra.
Liens : La Cie Les Ouranies // WebTv: Insitu Tv
Propos recueillis par Zoé Lavanant
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