“La Chute des Anges” : un spectacle en suspension magique
Inspirée par un épisode de la Bible, dont Brueghel l’Ancien peint une œuvre sur bois en 1562, la “Chute des anges” raconte comment des anges rebelles se mêlent aux hommes en épousant leurs vices. L’artiste et metteur en scène Raphaëlle Boitel donne ce titre à sa dernière création où des acrobates comédiens jouent et bataillent avec un monde hostile qui fait d’eux des pantins. Magistral.
Film noir
Dans un halo de lumière d’un projecteur violent, un homme émerge du noir d’une grotte, sautillant comme une marionnette dans l’interstice de l’éclair lumineux, tandis que la musique s’emballe. Puis, sur le plateau sombre, des hommes ou des femmes-cintres gesticulent, tête suspendue dans le vide, comme désarticulée sur un corps de pantin animé par des fils métalliques qui descendent du ciel. Qui sont-ils ces êtres noirs sans tête, dont le corps sans vie semble suspendu à une puissance supérieure ? Sont-ce des anges déchus, noirs, dont Dieu aurait supprimé l’innocence ? Ou bien des hommes exsangues, fatigués, lessivés à force d’avoir été dominés et manipulés ? Raphaëlle Boitel nous ouvre, avec ses beaux artistes acrobates, la boite de ses pensées, de ses rêves et de ses cauchemars. Dans le ballet des projecteurs dont les faisceaux semblent danser comme la musique, les acrobates sautent, s’élancent des les airs, se ruent pour combattre un monde de machines qui veut les faire taire. Un monde sans avenir qui formate les hommes.
Séquences superbes
Décloisonner et mettre des passerelles entre le monde du cirque et celui du théâtre et de la danse, de la musique et des arts plastiques, ce sont les axes de ce spectacle qui mêle les genres à la perfection avec des interprètes virtuoses, dans une prise de risque maximale. Alba Faivre, Clara Henry, Loïc Leviel, Emily Zuckerman, Lilou Hérin ou Sonia Laroze, Tristan Baudouin, qui signe magistralement les lumières, et Nicolas Lourdelle dialoguent avec de cocasses objets étranges et mal identifiés – projecteur, micro ? – qui semblent les agents d’une surveillance généralisée. Ils parlent, crient, appellent de leurs corps une énergie primale, une force de vie, comme la nostalgie d’un paradis terrestre qui avait fait d’eux des êtres innocents, avant la surveillance technique généralisée. Il y a de la dystopie dans ce spectacle aux allures de cauchemar rêvé, où des filles aux cheveux mousseux s’ensauvagent sur des échelles métalliques en suspension, comme des hirondelles sur des grues pivotantes dans la ville. Corps qui vrillent en équilibre précaire, qui se projettent dans le vide pour mieux atteindre le ciel, où se fondent au sol en imitant les animaux terrassés par la lumière froide des hommes. Entre ceux qui cherchent à voler, et ceux qui les forcent au silence, l’intrigue cavale, les personnages sursautent, s’abîment, pour triompher enfin de la pesanteur et du vide. Un combat vital.
Hélène Kuttner
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