“La Cenerentola”, une Cendrillon effervescente au Théâtre des Champs-Élysées
Féérique et politique, l’opéra de Rossini triomphe en ce moment dans la mise en scène astucieuse de Damiano Michieletto, portée par une distribution talentueuse où triomphe Marina Viotti, divine souillon transformée en diva pour séduire un prince. Le chef Thomas Hengelbrock et son ensemble Balthasar Neumann servent avec un immense bonheur la musique pétillante de ce drame décidément très joyeux.
Un ange descendu dans une cafétéria
La première image est saisissante, qui dessine en ombre chinoise un personnage la tête coiffée d’un chapeau, se balançant en suspension dans le ciel, hésitant, planant, pour descendre progressivement se lover dans un coin d’une cafétéria au blanc clinique. Le rideau de soie crème se lève, l’homme volant enlève son chapeau et pose sa valise, inspecte le lieu, pour s’effacer ensuite avec la légèreté d’un ange vêtu de blanc, laissant le spectateur face au décor ordinaire d’une cafétéria bon marché. C’est là qu’officie Angelina, femme de ménage au grand cœur, héroïne rossinienne à la voix céleste qui jamais ne se laisse dicter ses actes. Armée de son sceau et de sa serpillière, moquée par ses deux pestes de sœurs qui se piquent d’être des reines de beauté, maltraitée par leur père qui règne en tyran domestique, Angelina chante pour oublier, non sans avoir levé les yeux -doux- vers un homme à la simplicité sympathique, venu boire un verre avec son patron. Ordinaire et féérie, dureté et tendresse, haine et amour naissant, la mise en scène de Damiano Michieletto, que l’on avait salué dans « Le Barbier de Séville » à l’Opéra de Paris, séduit d’emblée par sa finesse et son astucieuse intelligence des situations. C’est l’humanité des personnages, avant tout, qui leur permet d’exister et de rayonner.
Un casting à la mesure de cette humanité
La mezzo Marina Viotti, au timbre velouté et suave, déploie sa présence chaleureuse et ses virtuoses vocalises avec une facilité, une sérénité et un charme déconcertants pour incarner Cendrillon. Devenue une vamp en fourreau rouge par la grâce du magicien Alidoro, elle captive les regards autant par sa voix que par ses yeux de braise. De loin, ses belles-soeurs, Clorinda-Alice Rossi et Tisbe-Justyna Olow, impayables en robes roses et vertes fluo, la toisent ou la rudoient, avec la complicité de leur père Don Magnifico qui croit en son propre nom dur comme fer. Peter Kálmán est fantastique dans ce personnage ridicule et imbus de lui-même, brutal et mégalomane, que le baryton-basse défend avec une puissance vocale et une habileté comique tout à fait remarquables. Il faut d’ailleurs, pour camper ces personnages à l’humeur si changeante, une technique de bel canto hors pair et un investissement émotionnel qui puisse traduire l’équilibre subtil entre un style pétillant et léger et des passages d’une touchante sincérité.
Une œuvre féministe
Sans citrouille ni pantoufle de vair, cette Cendrillon là « dédaigne les dons que dispense la fortune capricieuse ». « Celui qui veut m’épouser doit m’offrir respect, amour et bonté » clame-t-elle à la face de ceux qui l’ont vu respecter le mendiant davantage que le prince, et aimer Don Ramiro, qu’incarne le merveilleux ténor Levy Sekgapane, sous les traits de son valet Dandini, à qui Edward Nelson prête une élégance lumineuse et un timbre élégant et clair. Mais Alidoro est là, chef d’orchestre sage et malicieux qui va faire triompher Angelina, grâce à elle. Alexandros Stavrakakis se coule, carrure et voix de stentor, dans le rôle d’Alidoro qui lui va comme un gant face à Thomas Hengelbrock qui dans la fosse dirige souriant son orchestre et ses choeurs. Crescendi défendus avec le soin et la nuance, contrastes modérés entre tension et détente, le chef conduit l’œuvre avec une belle vision d’ensemble, une architecture musicale respectueuse et sans à-coups, toujours en soutien des interprètes sur le plateau. Un équilibre entre les chanteurs et l’orchestre, entre le livret et la mise en scène, qui mérite largement ici d’être salué et applaudi.
Hélène Kuttner
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