La Cas Jekyll – Théâtre national de Chaillot
Le Cas Jekyll… Déjà, le titre interpelle. Nous pensons plus spontanément au cas « Hyde ». Il est celui qui pose problème, celui qui n’a pas de place dans la bonne société londonienne de la fin XIXème siècle. Si Jekyll entame son histoire, s’adressant à un vieil ami, c’est parce que Hyde a pris une possession quasi-totale de son être, et qu’il se voit vouer à l’isolement le plus complet. Pourtant, son expérience extrême doit être rapportée, pour que l’histoire accède à la postérité. Ce bon docteur Jekyll va nous raconter sa lente et très progressive chute dans l’enfer de la skyzophrénie, de la débauche et du crime. Mais il ne perd jamais le cap scientifique, se faisant lui-même cobaye. Là, commence la dissociation officielle: médecin-chercheur / cobaye. Jekyll / Hyde. Ce couple toujours aussi fascinant aujourd’hui.
Le décor de la capitale anglaise, particulièrement à cette époque, se prête bien à ces histoires inquiétantes. On replonge dans l’imaginaire du Double Assassinat dans la rue Morgue de Poe, mais aussi dans les docks ou les fumoirs d’opium où trainent Dorian Gray, Jack l’Eventreur…La salle frissonne d’effroi, mais aussi de plaisir, d’entendre ce texte sublime, proféré par un comédien à la diction subtile. L’adaptation de Christine Montalbetti est réussie.
Le décor scénique colle parfaitement à l’imaginaire commun du salon/laboratoire de Jekyll. Une pièce anciennement coquette, désormais en lambeaux. Les rideaux semblent avoir été lacérés par des chats affamés, et le lit vandalisé par quelques cambrioleurs nerveux… Les éprouvettes demeurent intactes, bien que poussiéreuses. Durant ce long récit à son ami Utterson, l’interprète de Jekyll subit les transformations avec une grande aisance. Le comédien s’amuse de ce double rôle et sa jubilation devient vite communicative.
Ses changements de voix sont des plus grisants : se substitue à la voix posée et teintée d’ironie du professeur anglais, une voix grave et sournoise, ou même des cris informes. Beaucoup de répliques sont données dans la langue originale, ce qui nous immerge toujours plus dans les profondeurs de l’esprit, génialement torturé, de Poe. Un travail des voix remarquable, dont l’ajout du magnétophone, sur lequel sont enregistrées les terribles scènes de crime, s’avère être une riche idée pour dynamiser la mise en scène. L’objet anachronique choquera peut-être certains puristes, tant pis.
Podalydès joue également beaucoup avec son corps. Un corps dissocié, douloureux, et changeant. Son corps se tort sous nos yeux, il prend des positions improbables sur des discours presque calmes. Il semble s’animer sous sa propre autorité, et de manière bien fantaisiste. Cela ne fait qu’ajouter à l’étrangeté déjà si ambiante de la pièce.
Elle atteint le sommet de son intensité lors du monologue de Hyde. Bête humaine au visage sombre, couverte de poils et dont la voix effraie. Sa parole directe, très bien rendue par le comédien, accentue le pouvoir de la fiction et de l’illusion sur le spectateur.
Nathalie Troquereau
Le Cas Jekyll
Denis Podalydès, dans le rôle de Jekyll
Adaptation du texte : Christine Montalbetti
Scénographie et mise en scène : Eric Rif
Avec la participation d’Emmanuel Bourdieu pour la direction d’acteur
Du 10 au 21 mai 2011, à 20h30
Relâche 15, 16 et 18 mai
Durée : 1h10
Théâtre national de Chaillot (salle Gémier)
1, place du Trocadéro – 75016 Paris
M° Trocadéro
[Visuel : Le Cas Jekyll, © Élisabeth Carecchio]
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