“La Bohême” : un spectacle star au Théâtre des Champs-Élysées
Depuis 1956, l’opéra vedette de Giacomo Puccini n’avait pas refait son apparition au TCE. Et voici que cette nouvelle création maison se donne pour cinq représentations sous la houlette du jeune chef italien Lorenzo Passerini avec la soprano Selene Zanetti, le ténor Pene Pati et le baryton Alexandre Duhamel. La mise en scène et la scénographie sont d’Eric Ruf, les costumes de Christian Lacroix. Un beau et flamboyant spectacle que la formidable puissance sentimentale n’épuise pas.
Une peinture théâtrale de la Bohême
“Je ne connais personne qui ait décrit le Paris de cette époque aussi bien que Puccini dans La Bohême.” C’est ainsi que Claude Debussy, contemporain français de Puccini, évoquait la puissance dramatique et comique de cet opéra dont la richesse harmonique, la vélocité des cordes et la puissance des cuivres nourrissent avec somptuosité avec une histoire toute simple, sans coup d’Etat ni controverse sanglante, qui prend place dans un Paris en plein hiver dans une mansarde où vivent quatre amis artistes et sans le sou. Délaissant la précision réaliste, le metteur en scène et scénographe Eric Ruf installe les quatre amis devant le rideau de scène du théâtre que le peintre Marcello, auquel Alexandre Duhamel prête sa présence emphatique et sa voix chaude de baryton, peint en étant perché sur un échafaudage. C’est sur ce promontoire devenu escalier de service qu’apparaît pour la première fois Mimi, couturière de son état, dont le poète Rodolfo tombe immédiatement fou amoureux. La jeune Selene Zanetti voix de soprano pleine et gouleyante, tenue de médiums souples et liquides, est une Mimi simple et joyeuse, qui s’accorde harmonieusement avec le Rodolfo de Pene Pati, qui aborde le rôle pour la première fois et dont le timbre se réchauffe de manière torride pour atteindre le climax final.
Une direction musicale efficace
Si les duos de Mimi et de Rodolfo nous saisissent littéralement le cœur après l’entracte, dès le deuxième tableau, le début du spectacle est consacré à la misère heureuse des quatre camarades dont les blagues grivoises, les jeux de mots, l’enthousiasme fataliste font oublier le froid glacial et les engelures aux doigts. Francesco Salavadori est un Schaunard sage et docte, tandis que le Colline de Guilhem Worms affirme élégamment sa légèreté et sa sensibilité, notamment dans sa valse avec son manteau qu’il met en gage alors que se meurt Mimi, qui se révèle un moment plein d’émotion. Vêtus très classiquement par Christian Lacroix, dans un décor assez convenu fait de tentures rouges et de simples accessoires, les personnages s’amusent follement à transformer leur misérable sort en une réussite humaniste, prenant les pots de peintures pour des bouteilles de vin, le manque de lumière pour un hommage à la lune sous le règne bourgeois de Louis-Philippe. Au café Momus du deuxième tableau fourmille une foule grouillante d’enfants, dont le Chœur Unikanti et la Maîtrise des Hauts-de-Seine animent de manière effervescente. Et c’est Musetta qui apparaît aussitôt, courtisane coquine et flamboyante, maîtresse infidèle de Marcello avec lequel elle échange des lancers de casseroles !
La soprano Amina Edris, tempérament de feu et voix assurée, campe cette sirène de salon aux côtés de l’excellent Marc Labonnette (Alcindoro et Benoît), Rodolphe Briand (Parpignol), Théo Kneppert (le douanier), Arthur Cady (le sergent) et Simon Bieche (le vendeur ambulant). Le chef Lorenzo Passerini dirige l’Orchestre National de France de manière tempétueuse et presque trop puissante au début, mais parvient ensuite à servir l’œuvre de manière fidèle et respectueuse, laissant gonfler et vibrer la puissance romantique de ces accents chromatiques et déchirants. Une réussite longuement ovationnée lors de la première.
Hélène Kuttner
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